Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Henri Michaux Rencontre avec Henri Michaux : Un tout petit cheval

Écoutez Michel Bouquet

Un tout petit cheval

J’ai élevé chez moi un tout petit cheval. Il galope dans ma chambre. C’est ma distraction.

Au début, j’avais des inquiétudes. Je me demandais s’il grandirait. Mais ma patience a été récompensée. Il a maintenant plus de cinquante-trois centimètres et mange et digère une nourriture d’adulte.

La vraie difficulté vint du côté d’Hélène. Les femmes ne sont pas simples. Un rien de crottin les indispose. Ça les déséquilibre. Elles ne sont plus elles-mêmes.

« D’un si petit derrière, lui disais-je, bien peu de crottin peut sortir », mais elle… Enfin, tant pis, il n’est plus question d’elle à présent.

Ce qui m’inquiète, c’est autre chose, ce sont tout d’un coup, certains jours, les changements étranges de mon petit cheval. En moins d’une heure, voilà que sa tête enfle, enfle, son dos s’incurve, se gondole, s’effiloche et claque au vent qui entre par la fenêtre.

Oh ! Oh !

Je me demande s’il ne me trompe pas à se donner pour cheval ; car même petit, un cheval ne se déploie pas comme un pavillon, ne claque pas au vent fût-ce pour quelques instants seulement.

Je ne voudrais pas avoir été dupe, après tant de soins, après tant de nuits que j’ai passées à le veiller, le défendant des rats, des dangers toujours proches, et des fièvres du jeune âge. Parfois, il se trouble de se voir si nain. Il s’effare. Ou en proie au rut, il fait par-dessus les chaises des bonds énormes et il se met à hennir, à hennir désespérément.

Les animaux femelles du voisinage dardent leur attention, les chiennes, les poules, les juments, les souris. Mais, c’est tout. « Non, décident-elles, chacune pour soi, collée à son instinct. Non, ce n’est pas à moi de répondre. » Et jusqu’à présent aucune femelle n’a répondu.

Mon petit cheval me regarde avec de la détresse, avec de la fureur dans ses deux yeux.

Mais, qui est en faute ? Est-ce moi ?