Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Joachim du Bellay(1524(?)-1560) Rencontre avec Joachim du Bellay : Épitaphe d'un chat

EPITAPHE D'UN CHAT

Maintenant le vivre me fasche :

Et à fin, Magni, que tu sçaiche',

Pourquoy je suis tant esperdu.

Ce n'est pas pour avoir perdu

Mes anneaux, mon argent, ma bource :

Et pourquoy est-ce donques ? pource

Que i'ay perdu depuis trois jours

Mon bien, mon plaisir, mes amours :



Et quoy ? ô souvenance grève !

A peu que le cœur ne me crevé

Quand j'en parle, ou quand j'en escris :


C'est Belaud mon petit chat gris,

Belaud, qui fut paraventure

Le plus bel œuvre que nature

Feit onc en matière de chats :

C'estoit Belaud la mort aux rats,

Belaud, dont la beauté fut telle,

Qu'elle est digne d'estre immortelle.


Donques Belaud premièrement

Ne fut pas gris entièrement

Ny tel qu'en France on les void naistre,

Mais tel qu'à Rome on les void estre,

Couvert d'un poil gris argentin,

Ras et poly comme satin,

Couché par ondes sur l'eschine,

Et blanc dessous comme une ermine :


Petit museau, petites dens,

Yeux qui n'estoient point trop ardens ;

Mais desquelz la prunelle perse

Imitoit la couleur diverse

Qu'on void en cest arc pluvieux,

Qui se courbe au travers des cieux.


La teste à la taille pareille,

Le col grasset, courte l'oreille,

Et dessous un nez ebenin

Un petit mufle lyonnin,

Autour duquel estoit plantée

Une barbelette argentée,

Armant d'un petit poil folet

Son musequin damoiselet.


Gembe gresie, petite patte

Plus qu'une moufle délicate,

Si non alors qu'il deguaynoit

Cela, dont il egratignoit :



La gorge douillette et mignonne,

La queue longue à la guenonne,

Mouchetée diversement

D'un naturel bigarrement :

Le flanc haussé, le ventre large,

Bien retroussé dessous sa charge,

Et le doz moyennement long,

Vray Soudan, s'il en fut onq'.


Tel fut Belaud, la gente beste.

Qui des piedz jusques à la teste.

De telle beauté fut pourveu,

Que son pareil on n'a point veu.

O quel malheur! ô quelle perte.

Qui ne peult estre recouverte !

O quel deuil mon ame en reçoit !

Vray'ment la mort, bien quelle soit

Plus fiere qu'un ours, l'inhumaine,

Si de voir elle eust pris la peine

Un tel chat, son cueur endurcy

En eust eu, ce croy-je, mercy :

Et maintenant ma triste vie

Ne hayroit de vivre l'envie.


Mais la cruelle n'avoit pas

Gousté les foUastres esbas

De mon Belaud, ny la soupplesse

De sa gaillarde gentillesse :

Soit qu'il santast, soit qu'il gratast,

Soit qu'il tournast, ou voltigeast

D'un tour de chat, ou soit encores

Qu'il prinst un rat, et or' et ores

Le relaschant pour quelque temps

S'en donnast mille passetemps.


Soit que d'une façon gaillarde,

Avec sa patte fretillarde,

Il se frottast le musequin,

Ou soit que ce petit coquin

Privé sautelast sur ma couche,

Ou soit qu'il ravist de ma bouche

La viande sans m'outrager,

Alors qu'il me voyoit manger,

Soit qu'il feist en diverses guises

Mille autres telles mignardises.


Mon-dieu, quel passetemps c'estoit

Quand ce Belaud vire-voltoit

Follastre autour d'une pelote !

Quel plaisir, quand sa teste sotte

Suyvant sa queue en mille tours,

D'un rouët imitoit le cours !

Ou quand assis sur le derrière

Il s'en faisoit une jartiere,

Et monstrant l'estomac velu

De panne blanche crespelu,

Sembloit, tant sa trongne estoit bonne,

Quelque docteur de la Sorbonne !

Ou quand alors qu'on l'animoit,

A coups de patte il escrimoit,

Et puis appaisoit sa cholcre

Tout soudain qu'on lui faisoit chère.

Voylà, Magni, les passetemps,

Où Belaud employoit son temps.

N'est-il pas bien à plaindre donques ?

Au demeurant tu ne vis onques

Chat plus addroit, ni mieulx appris,

A combattre rats et souris.


Belaud sçavoit mille manières

De les surprendre en leurs tesnieres,

Et lors leur falloit bien trouver

Plus d'un pertuis, pour se sauver :

Car onques rat, tant fust-il viste,

Ne se vit sauver à la fuyte

Devant Belaud. Au demeurant

Belaud n'estoit pas ignorant :

Il sçavoit bien, tant fut traictable, Prendre la chair dessus la table,

J'entens, quand on luy presentoit,

Car autrement il vous grattoit,

Et avec la patte friande

De loing muguetoit la viande.


Belaud n'estoit point mal-plaisant,

Belaud n'estoit point mal-faisant.

Et ne feit onq' plus grand dommage

Que de manger un vieux frommage,

Une linotte, et un pinson,

Qui le faschoient de leur chanson.

Mais quoy, Magni ? nous mesmes hommes

Parfaicts de tous poincts nous ne sommes.


Belaud n'estoit point de ces chats,

Qui nuict et jour vont au pourchas,

N'ayant soucy que de leur panse :

Il ne faisoit si grand' despense,

Mais estoit sobre à son repas,

Et ne mangeoit que par compas.


Aussi n'estoit-ce sa nature

De faire par tout son ordure,

Comme un tas de chats, qui ne font

Que gaster tout par où ilz vont :

Car Belaud, la gentile beste,

Si de quelque acte moins qu'honneste

Contrainct possible il eust esté,

Avoit bien ceste honnesteté

De cacher dessous de la cendre

Ce qu'il estoit contrainct de rendre.


Belaud me servoit de jouet,

Belaud ne filoit au rouet,

Grommelant une letaniè

De longue et fascheuse harmonie,

Ains se plaignoit mignardement

D'un enfantin myaudement.


Belaud (que j'aye souvenance)

Ne me feit onq' plus grand' offense

Que de me reveiller la nuict,

Quand il entr'oyoit quelque bruit

De rats qui rongeoient ma paillasse :

Car lors il leur donnoit la chasse,

Et si dextrement les happoit,

Que jamais un n'en eschappoit.


Mais, las, depuis que ceste fiere

Tua de sa dextre meurtrière

La seure garde de mon corps,

Plus en seureté je ne dors :

Et or' ô douleurs nompareilles !

Les rats me mangent les oreilles :

Mesmes tous les vers que j'escris,

Sont rongez de rats et souris.


Vray'ment les Dieux sont pitoyables

Aux pauvres humains misérables,

Tousjours leur annonçant leurs maulx,

Soit par la mort des animaulx,

Ou soit par quelque autre présage,

Des cieux le plus certain message.


Le jour que la sœur de Cloton

Ravit mon petit Peloton,

Je dis, j'en ay bien souvenance.

Que quelque maligne influence

Menassoit mon chef de là hault,

Et c'estoit la mort de Belaud :



Car quelle plus grande tempeste

Me pouvoit fouldroyer la teste ?


Belaud estoit mon cher mignon,

Belaud estoit mon compagnon

A la chambre, au lict, à la table,

Belaud estoit plus accointable

Que n'est un petit chien friand,

Et de nuict n'alloit point criand

Comme ces gros marcoux terribles.

En longs miaudemens horribles :

Aussi le petit mitouard

N'entra jamais en matouard :

Et en Belaud, quelle disgrâce !

De Belaud s'est perdu la race.


Que pleust à Dieu, petit Belon,

Que j'eusse l'esprit assez bon.

De pouvoir en quelque beau style

Blasonner ta grâce gentile,

D'un vers aussi mignard que toy :

Belaud, je te promets ma foy,

Que tu vivrois, tant que sur terre

Les chats aux rats feront la guerre.

Joachim du Bellay - Divers jeux rustiques