Elle s'appelle Jacqueline.
Elle met à notre disposition de grands papiers vierges.
On les plie en deux, en quatre, en huit.
Que faire de ces petits papiers ?
On pourrait les laisser passer.
On pourrait y faire des trous, des petits trous, encore des petits trous.
On pourrait dessiner des bulles et écrire dedans
des CLIP, des CRAP, des BANG, des VLOP,
des ZIP, SHEBAM, des POW, des BLOP, des WIZZ.
Mais non,
Nous, on y pose des mots,
des mots comme des ducs d'Albe plantés dans un chenal
où viennent s'amarrer d'autres mots :
des mots obliques,
des mots courbes,
des mots tendus,
des mots plats,
des mots de terre,
des mots du ciel,
des mots tranchants. Démesurément.
Alors, les mots s'entrechoquent dans un désordre de cymbales
et par la grâce d'une phrase inventée
ils se font oiseaux.
La salle se met alors à ressembler à une volière.
Une volière de mots.
De mots colombes, de mots rapaces.
On y reconnaît des merles moqueurs, d'innocents serins,
quelques paons qui font la roue, des perroquets très polis,
des piverts obsessionnels.
On valse, on chavire,
on est envahi par l'émotion
ou déçu par un propos trop banal.
On traverse le miroir.
On tend l'oreille aux murmures des souvenirs.
Comme dit le sage, les souvenirs sont des poètes,
ce ne sont pas des historiens.
On souffre avec ceux qui ont vu l'horreur de près.
On voyage de la campagne limousine au désert du Negev.
On fréquente les courts de tennis.
On visite parfois les alcôves.
On fait silence pour entendre ce que les timides ont à nous dire.
Un ange passe. Les coucous rentrent dans leurs horloges.
Parfois, une voix dit merci,
parfois, on écoute une seconde fois.
On devient d'étranges confidents.
On gardera en nous certains secrets
comme des lettres qu'on n'ouvre jamais.
On se trouve des affinités électives.
On sourit quand, dans la poussière des mots entendus,
nous vient une phrase que l'on croyait autre
ou que l'on croyait nôtre.
Parfois, on écoute distraitement,
préférant lire dans les yeux de celle ou celui qui lit.
Trois heures durant,
on fait taire le tic-tac des horloges
ce gros insecte
qui nous rappelle qu'on est mortel.
L'atelier d'écriture de Jacqueline
ça enlève le cafard
papier buvard
ça rend moins grognon
papier chiffon
Quand ça fonctionne
papier carbone
les mots c'est pas du vent
papier collant
L'atelier de Jacqueline
ça sert à se réchauffer
papier mâché
mais papier jamais gâché.
JACQUES
Commentaires 2
Très belle déclaration Jacques. Voici notre atelier décrit avec délicatesse. Nous retrouvons les détails de nos trois heures passées ensemble. De délicieux moments, vraiment. Notre cheffe d'orchestre sait nous amener vers de belles découvertes sur les autres et aussi sur nous-même.
L'alchimie des phrases, les relations mystérieuses et variées qui s'établissent entre écrivants pendant un atelier : tu décris tout ça très bien dans ton texte subtil.
Tout ça peut échapper, rester plus ou moins invisible en premières impressions.
Au final, ton texte montre l'intensité de ta mémoire et de ton écoute pendant les ateliers .