Au joli mois du printemps, je longe le canal, de sa marche à cadence régulière. De platane, en platane, une succession de pas. J’avance ? Tout au moins, je franchis un premier bief, une deuxième….Le canal est rectiligne. Je marche droit devant dans la monotonie de ma marche avec une nature droite. L’eau s’écoule sans bruit d’une immobilité apparente. L’approche d’une écluse réactive mais vivante : le son de l’eau qui s’écoule le long des métaux rouillés, forme un aléa troublant l’engourdie raideur. Parce que de cette marche, démarche, il ne se passe rien. Rien ne se passe. Je n’ai pas de démarche. Pas d’objet qui parvînt à m’atteindre. Seul le rêve demeure, les pensées flottantes de l’eau apparemment stagnante du canal, les ragondins, les siens, bouffant les berges.
Je pense le cortège d’ouvriers morts des moustiques, les prémisses d’une sécurité sociale vendant des hommes et des femmes à construire les voies de marchandises, marchandage des humains…Leurs blessures, leurs fêlures, des piqûres ; Construire pour mourir, construire pour le roi, même eux ne pouvaient plus y aller.
S’en remettre en route de pas, le soleil suit. Un arrêt à la prochaine écluse. C’est une nouveauté. Un couple de restaurateurs belges s’y est installé à renfort de bière, spécialistes de la frite et du camembert. . Elle se pose à une table. Nouvellement installés, voisin de la maisonnée. Il apporte une bière ambrée et dit : avec la crise économique, il est difficile en cette période morose de succomber aux délices de Capoue et ses orgues ».
Je dis : « que votre bière est bonne ! ».
Notre bavardage enchaîne sur la péniche, immobilisée non loin d’ici: Tramezaïgue, c’est son nom. J’ai souvent ralenti mon pas à la vue de Tramezaïgue, en place immobile sur le canal, arrêtée. Est-elle habitée ? Vidée d’habitants, dans le bouillard et les ombres du canal. Elle est belle, d’un rouge bordeaux rouille, un liserée de crème et le nom qui ne lasse pas d’intriguer : une trame un Zadig, un zigzague en ligne droite.
« Eh, c’est un monsieur Gustave qui l’habite ; parfois on le croise mais on ne sait pas ce qu’il fait. On sait qu’il y est dans sa péniche quand son pantalon rayé sèche sur le pont. C’est comme cela que vous le reconnaîtrez. Il est venu ici boire un coup de temps en temps. Il est affable, causant, liant. J’ai pas vraiment compris ce qu’il fait »
Je bois à petite lampée ma bière : reconnaître Gustave à son pantalon rayé. Peut-être ou autrement…
Commentaires 1
Gustave me fait penser à Citrolin , le héros du livre "Les fleurs bleues" de Raymond Queneau.
Lui aussi vit sur une péniche , et est un être étrange qui se perd dans ses rêves
(Est-ce Citrolin qui rêve qu'il est un papillon, ou est-ce le papillon qui rêve qu'il est Citrolin ?)
Ce texte bien sûr évoque pour moi le Canal du Midi et ses écluses , et tous les gens qui aiment le découvrir à pied , ou en louant un bateau :
charmes d'un temps passé de grands travaux , d'un projet inouï , des rencontres .
Merci d'avoir permis la plongée dans des souvenirs du Canal