Encrier 87

Textes de 2024 Texte du 11 avril de Jacqueline suivi d'un écrit-retour de Jean

                  Dessin de Daniel à partir de la lettre Aleph

LE CHEMIN...

On l’appelait « Fend la bise », son vrai nom c’était Aleph’o.

Au lycée, nous étions toutes folles de lui, il était le seul garçon à aller de l’avant en toutes circonstances sans jamais se retourner et chacune de nous se voyait déjà emportée dans son sillage, loin de notre petite ville de province pourrie.

Et puis, son noeud papillon, qu’il arborait au quotidien avec fierté, nous faisait rêver d’une vie cossue dans une maison bourgeoise.

Quant à sa brosse sur la tête qui tenait raide sans gomina, il n’y a pas de mots pour exprimer ce qu’elle nous laissait présager....

J’ai mis tellement de coeur à l’ouvrage pour conquérir Aleph’o que, l’année du bac, je n’ai pas eu le bac, mais j' ai gagné Aleph'o.

Au fil du temps, j’ai remarqué que son buste s’inclinait de plus en plus vers la terre, jusqu’au jour où, comme le gros tilleul du carrefour, déraciné un jour de gros vent, j’ai découvert Aleph’o dans la posture de yoga de sirsasana, c’est à dire tête à terre, les jambes presque verticales vers le ciel.

D’ordinaire agélaste (comprenez morose) , dans cette position il souriait, épanoui, en me regardant.

Prise de panique, je palpitais d’effroi.

J’avais l’impression que cet homme transformé en balai-brosse trouvait enfin sa juste place dans la vie. Il tendait sa jambe droite vers moi pour que je m’en saisisse... pour balayer le sol avec sa brosse...

Toutes les variétés de bouillonnements m’ont traversée : de l’envie de prendre mes jambes à mon cou à celle de l'obliger à retrouver la position d’humain, en passant par celle de le détruire, et même celui d’accepter sa nouvelle vie , en restant près de lui en silence.

( Curieusement, jamais l’idée de m’aventurer dans la création de notre propre entreprise de nettoyage ne m’a effleurée. )

Mon guide intérieur a pris son temps pour me dicter la voie à suivre mais un jour, il m’a donné la solution...

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La nuit suivante, il me revint à l'esprit qu’Aleph’o était passionné de cirque.

Je contactai aussitôt Alfredo , le directeur du cirque voisin, qui accepta de le rencontrer .

À la vue de la dégaine d’Aleph’o, Alfredo pensa aussitôt : contortionniste. !

L'homme-serpent, celui de son cirque , venait justement de prendre sa retraite, et était prêt à transmettre son savoir et ses numéros.

Homme_serpent.jpeg Mis au courant, Aleph’o bondit de joie, et du coup, se redressa :

Devenir contorsionniste était son rêve secret…

Depuis longtemps, Il s'était plié à plein d’ exercices d'assouplissement, et il s’empressa de montrer à Alfredo les prouesses dont il était déjà capable.

— Imaginez ce que cela donnera, avec les conseils éclairés de l'homme serpent, me dit Alfredo.

Il proposa à Aleph’o un contrat d'essai de six mois sous la direction de l'homme-serpent.

Je repris espoir, car une vie liée au cirque n'était pas pour me déplaire.

C'est ainsi qu'Aleph’o, devint célèbre, sous le nom de Valentin-le-désossé…

Adieu, la vie bourgeoise qui m'avait, au temps du lycée, fait rêver.

Commentaires 1

  • Sakura

    Grace à votre texte 2 en 1, je viens de comprendre comment on peut détester passer le balais tout en adorant vivre en caravane! Que de rebondissements! Tout est souvent question de point de vue! Fallait y penser! (tourner le dessin) C'est vraiment parlant!!! Et puis d'une chute, faire une destinée…

    Sakura

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