Etonnants Voyageurs SAINT MALO 18/19/20 mai 2024
Me voici de nouveau une étonnante voyageuse : la musique déréglée du monde et du temps, s'enchevêtrent.
Ce qui est arrivé, ce qui arrive et va peut-être arriver, est raconté ici avec passion, émotion, ferveur, joie, humour et aussi angoisse et crainte.
Tout bouillonne. Je me suis, comme à l'accoutumée, préparée pour entamer un tour du monde. Pendant trois jours, je vais pouvoir choisir mes destinations, en feuilletant fébrilement les pages de cette épopée, préparée avec soin et conviction.
Il est à peine 7 heures.Je longe la Plage du Sillon en contemplant ses couleurs à nul autre pareil. Le ciel et la terre vibrent.
Je contemple ce majestueux cerf-volant qui, lui aussi, parcourt le ciel et parfois la terre, aussi fou et indomptable que ce monde que je me prépare à découvrir.
Un jeune homme me héle pour me proposer de l'essayer car fait-il remarquer "il est aux mêmes couleurs que votre joili coupe-vent".
Je lui réponds : "Oh ! Mais vous croyez !". Il rétorque qu'il va m'aider ! Aussitôt, suprise ! Nos pieds quittent la plage humide et nous nous envolons, à deux doigts de nous fracasser sur l'alignement des brise-lames du Sillon.
Heureusement vite revenus sur le sable, nous rions aux éclats quand nous sommes rejoints par un char à voile qui file, vents contraires, vers la Plage de la Hoguette. "Hé ! mais vous n'êtes pas raisonnables !"
Un "Non ! " à l'unisson s'envole là-bas vers la plage de l'Eventail et le Fort de la Reine.
Je continue de filer vers la digue de Rochebonne, la plage du Minihic, la plage du Pont et vers mon lieu secret : la plage du Nicet ; puis j'aperçois la Tour du Bonheur et vite la Pointe du Christ, la plage du Havre du Lupin jusqu'à la plage aux Puces.
Je tourne le dos à la Cité Corsaire et plonge les mains dans les vagues. Ma devise préférée remue mes lèvres : "Ni française, ni bretonne, malouine suis".
Mes semelles au vent, je marche en pensant à cet homme qui a eu, avec plusieurs de ses amis, une idée de génie : inventer Etonnants Voyageurs. Moi aussi, je suis une étonnante voyageuse parce que je sais déjà où vont me conduire mes choix.
Un choix que l'on peut penser désordonné. Pourtant . . .
Le premier jour, j'ouvrirai le bal avec Olga TOKARCZUK étonnante et vibrante écrivaine, accompagnée par Ariane ASCARIDE jusqu'en Basse- Silésie, peuplée de démones.
Je rejoindrai Jean MALAURIE ce géant, souvent rencontré ici mais aujourd'hui, et depuis quelques mois déjà, réincarné, j'en suis sûre, là-bas dans le Grand Nord avec ses chamans.
Parce qu'il est mort à 101 ans, sur son balcon plongeant dans la mer, avec pour compagnon et pour la première fois sur cette plage de Dieppe, un phoque, en train de le regarder.
Puis, la nuit, je danserai en slamant, imprégnée de jazz, de rap et de techno avec cinq filles et un garçon des Balkans.
Le lendemain, j'entendrai Beata UMUBYEYI MAIRESSE et ses amis, pleins d'espoirs et de projets, qui continuent à culbuter le malheur, au Rwanda, pour comprendre ce qui leur est arrivé, ce funeste 07 avril 1994 et les jours et les mois suivants.
Puis là-bas, au Burkina-Faso, j'apprendrai que la cour familiale, cet espace partagé et lieu d'ancrage pour les femmes et les hommes, est en train de se tranformer ; parce que les liens sociaux et religieux séculaires lâchent désormais le terrain au djihadisme.
Un moment, plus intime arrive pour regarder une période de l'humanité qui m'a suivie, avec mon père, toute ma vie. Grâce à Annick COJEAN, journaliste, écrivaine, le 06 juin 44, les souvenirs de ce D-Day de 18 héros s'imprègnent en nous.
Nous sommes suspendu(e)s à ses passionnantes, réconfortantes et délicates révélations des vétérans qu'elle a rencontré il y a très longtemps.
Elle ne parvient que maintenant, plus de vingt ans après, à dévoiler leurs confidences.
Je serai stupéfiée par le voyage à Gaza, filmé par deux amis reporters puis expliqué par Pierre HASKI, un homme hors du commun. Je resterai sans voix. La Nakba comme la Shoah se rejoignent pour devenir des désastres humanitaires.
Quel est l'avenir de cette terre doublement promise ?
Enfin, l'escapade en Arménie, avec Olivier WEBER interroge : où va ce beau pays, habité par un peuple foncièrement bon, entouré de monstres.
Et ce lendemain du lendemain, tôt le matin, il arrive Colum MacCANN avec un grand sourire. Que dire de ce moment privilégié, dans ce lieu dénommé la Chambre des Machines.
On est là pour l'art d'écrire en vingt leçons grâce à cette célébrité irlando-américaine pour qui rien n'est plus beau que Saint Malo et Etonnants Voyageurs.
Va-t-il livrer ses secrets d'écriture ? Oui ? Non ? Non !
"Car selon moi, dit-il, il n'y en a pas. Ecrire, c'est avoir le derrière sur la chaise et travailler. Il faut rater . . . plus et plus. C'est tout de la merde . . . jusqu'au moment où ça n'en est plus ! Il faut, je le répète, bosser . . . bosser et bosser ; avec trois points clés : le désir, l'énergie, la perséverance.Et il y a un moment où l'on est sûr que l'on a réussi à écrire ce que l'on voulait écrire. Et là ! le seul maître, c'est vous."
Imprégnée, pour un temps par ce qui est, comme à l'accoutumée, une aventure, une fête de la curiosité, je pense : avec un "e" ou avec un "a" ?
Et je me dis que la liberté d'esprit, comme toutes les libertés, n'est pas offerte. Il faut passer au-dessus des brouillages.
Mes nombreuses questions sont soulagées par les mots, ceux, nichés dans mon esprit, mais que je ne parviens pas toujours à prononcer.
Non, ce n'est pas un choix désordonné d'être ici à Saint Malo une sorte de réceptacle et de gardienne des traces.
Afin que les absentes et les absents ne soient plus absents.
Commentaires 2
Être une petite souris, se glisser dans les malles de la narratrice et partir vers la Cité Corsaire pour écouter toutes les conversations des étonnants voyageurs.
Jacques
Chère Elizabeth, captivé par la lecture des "Etonnants" j'ai du rater l'envoi...J'y reviens donc... Je connais St Malo du temps où j'habitais Rennes. J'allais à St-Malo chaque semaine pour le travail. J'ai gardé des souvenirs brumeux, joyeux, mouvants et granitiques...Plus tard j'ai entendu , à la radio, parler des "Etonnants voyageurs". Bravo Elizabeth pour ton intérêt et surtout la description que tu en fais. Voir la délicieuse Ariane Ascaride, parler de Jean Malaurie ! Les Rois de Thulé ! Pierre Haski chroniqueur sur France-Inter, et d'autres aussi...Ainsi il est possible de voyager en levant l'ancre et quitter Port-Encrier...Pour où ? la cité de Surcouf ?