Encrier 87

Texte écrits en juin hors atelier avec pour inducteurs : IF de R. Kipling, Saturne de Brassens, phrase de M.Duras Texte de Jacqueline

« ON NE PEUT COMPRENDRE LA VIE QU’EN REGARDANT EN ARRIÈRE; ON NE PEUT LA VIVRE QU’EN REGARDANT EN AVANT » KIERKEGAARD

Un bon mois à l'avance, les petites filles du CM2 de l’école se précipitaient chez la mercière pour acheter le napperon qu’elles broderaient et offriraient à leur maman le jour de la fête des mères.

Aux récréations, elles s’asseyaient au bord du préau, les pieds dans le caniveau de la cour et elles brodaient avec bonheur et frénésie . Les écheveaux de fil de coton brillaient de toutes les couleurs. `

Je ne sais plus si le travail s'amorçait par la bordure du napperon qui se faisait au point de feston ou par le motif central qui lui se cousait au point de tige . Certains ouvrages étaient même entourés de dentelle .

C’est émouvant de repenser à ces fillettes, futures mamans, qui je suppose, débordaient de tendresse pendant qu’elles piquaient le tissu à tout petits points rapprochés pour que l’oeuvre soit la plus belle possible pour leur maman.

La petite fille de l’histoire aurait voulu faire partie du clan des brodeuses mais une force intérieure plus forte qu’elle l’en empêchait et la rendait malheureuse.

Pourtant, deux jours avant la fête, un élan inattendu l'a fait courir chez la mercière. Il restait quelques napperons, les laissés pour compte.

Elle en a choisi un avec les écheveaux de fils à broder et pendant deux jours, en toute hâte, intégrée dans la tribu des couseuses, au bord du préau, elle a rattrapé le temps perdu.

Sur le napperon, elle a fait fleurir les pâquerettes pré-dessinées .

Il fallait faire vite pour que le cadeau soit prêt à terme, alors les points de tige et de feston couraient en de bien trop grandes enjambées !

La petite fille n’a pas trouvé le résultat très réussi, mais elle était contente .

Le fameux dimanche, comme tous les dimanches à midi, elle est allée manger chez ses parents qui l’ont ramenée ensuite dans la famille où ils l’avaient placée depuis toujours.

Elle a offert son cadeau.

La mère a dit que le napperon était beau… personne ne l’a jamais vu ni sur le buffet ni sur la table de la salle à manger.


Bien des années plus tard, la petite fille au napperon à son tour est devenue mère.

Un jour de fête des mamans, son enfant a cassé sa tirelire pour lui offrir un sac à main en cuir véritable.

Comme sa mère avant elle, elle n’a pas aimé le cadeau et elle s’en est débarrassée très vite .


Le temps s’est écoulé et un jour, la mère a été happée par le regard de sa fille habité par les forces de la nuit .

A son insu, les mots muets de ce regard se sont faufilés entre ses vêtements et sa peau, au point de ne plus lui laisser de répit .

Elle a cherché dans les livres ce qui ne s’y trouve pas.

Elle a compris qu’elle n’apprendrait pas toute seule, qu’il faudrait se rapprocher de quelqu’un pour atteindre au plus profond d’elle-même.

La présence silencieuse et agissante d'une femme à ses cotés l’a accompagnée dans le travail sur l’ombre et la traversée de la nuit.

Elle a osé emprunter des chemins jusqu’alors interdits , elle y a fait des rencontres, elle s’est senti aimée d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver.

Après avoir connu l’amour, ce miracle d’ avoir un jour été entendue jusque dans ses silences, elle a pu en retour entendre avec la même délicatesse.

Commentaires 1

  • Jacques

    Tu brodes la différence, les regrets, les tourments, l'appel à l'aide. Tu brodes les mots dans tous les sens sur un chemin qui n'est jamais pré dessiné. Tu y ajoutes quelques rangées de perles d'amour.

    Jacques

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