Message personnel
Toulouse, un soir de 1962. Un jeune homme longe le canal latéral à la Garonne. En aval, le chemin mène aux Ponts-Jumeaux ; en amont, il devient pierreux et se transforme en chemin de halage. Le garçon tient dans les mains un des premiers magnétophones à cassettes qu'il a gagné à une tombola organisée par la société Philips. Il écoute en boucle la voix blanche d'une chanteuse inconnue. Elle est seule, personne ne l'aime, ses jours comme ses nuits sont en tous points pareils. Les autres vont deux par deux mais elle va seule, par les rues, l'âme en peine.
Comment ne pas l'aimer ?
Un matin de 2024. Nous nous réveillons vieux, nous nous réveillons veufs. Nous avons perdu notre grande sœur. Nous avons perdu notre fiancée. Nous avons perdu notre copine. Reste la mélancolie.
Françoise, comment te dire adieu ? Dans la maison où j'ai grandi, des photos de toi sont restées longtemps punaisées sur les murs de ma chambre d'adolescent. J'avais douze, treize, quatorze et plus et moi je t'aimais Françoise. Sous aucun prétexte, je n'aurais manqué la sortie de l'un de tes maxi quarante-cinq tours.
Dans ma tête, je faisais partie de tes amis venus des nuages avec soleil et pluie comme simple bagage. On faisait la saison des amitiés sincères, la plus belle saison des quatre de la Terre.
Françoise, j'aimais tes grands yeux tristes. A vingt-quatre ans, tu chantais « Ma jeunesse fout le camp ». Les âmes angoissées se reconnaissent.
J'ai appris ta mort, je me suis caché derrière un kleenex. Sous aucun prétexte, je ne voulais montrer mon chagrin. Tu chantais « Je veux que tu m'enterres », tu appelais Dutronc ton veuf imminent. Tu avais repris « Il n'y a pas d'amour heureux ». J'adorais t'écouter chanter en allemand « Die Liebe geht. »
Toi, tu as enchanté le monde. Moi, je suis resté là, comme un idiot, à faire des ronds dans l'eau. Je ne t'ai jamais rencontré mais nos deux noms si ! Le tien à la lettre H, le mien à la lettre D sur une liste, la très longue liste des adhérents d'une association dont nous partagions le combat.
Tu as pris le large, tu as pris le train spécial de l'aller sans retour, celui qui n'arrive qu'une fois. J'espère que tout est bien maintenant que tu es loin. Aucun regret, aucun séisme, aucun chaos. Partie vers la lumière et la liberté pour mieux tourner la page.
Tu nous as dit tant de belles choses Françoise, tu nous as dit que l'amour était plus fort que le chagrin, qu'entre ciel et terre, il y a la foi qui abat les montagnes, tu nous as dit qu'au bout du tunnel refleurissent les arcs-en-ciel.
Si un jour, dans cet ailleurs que tu as tant imaginé, tu as envie de me contacter, alors, n'attends pas un jour, pas une semaine, envoie un signe à l'adolescent, bras ballants qui marchait au rythme de ta voix.
Si cet adolescent avait une baguette magique, il dirait au bois de son oreille :
Je veux qu'elle revienne, car c'est elle que j'aime, dis-lui pour moi.
Françoise Hardy et Jacques
Commentaires 2
Le Golf Drouot, les yéyés, les transistors à piles, fin années 50...Et la fin de la domination de l'ac- -cordéon et des bals musette...Françoise savait dire autre chose que la vague pop ! Pour nous, qui avions vingt ans dans ces années-là, Elle est toujours avec nous...Merci Jacques,
La sincérité, la pudeur et la simplicité de ton écrit me touchent et comme le dit Prévert: " La vie n'a pas d'âge. La vraie jeunesse ne s'use pas. On a beau l'appeler souvenir, on a beau dire qu'elle disparaît , on a beau dire et vouloir dire que tout s'en va, tout ce qui est vrai reste là. "