Paroles dans l'air ( À Pierre Leyris)
L’air si clair dit : “Je fus un temps votre maison.
puis viendront d’autres voyageurs à votre place,
et vous qui aimiez tant ce séjour, où irez-
vous? Je vois bien de la poussière sur la terre,
mais vous me regardiez, et vos yeux paraissaient
ne pas m’être inconnus ; mais vous chantiez parfois,
est-ce donc tout? Vous parliez même à demi-voix
à quelqu’un qui était souvent ensommeillé,
vous lui disiez que la lumière de la terre
était trop pure pour ne pas avoir un sens
qui échappât de quelque manière à la mort,
vous vous imaginiez avancer dans ce sens,
et cependant je ne vous entends plus : qu’avez-
vous fait? que va penser surtout votre compagne?”
Elle répond à travers ses heureuses larmes :
“Il s’est changé en cette ombre qui lui plaisait.”
Philippe Jaccottet - L'ignorant (Gallimard)