Écoutez Aksel Carrez
Confession d’un voyou
Il n’est pas donné à chacun de chanter,
Il n’est pas donné à chacun de tomber
Comme une pomme aux pieds d’autrui.
Ceci est la plus grande confession
Par laquelle un voyou se confesse aujourd’hui.
C’est exprès que je vais tout décoiffé,
Ma tête sur les épaules comme une lampe à pétrole.
Dans les ténèbres j’aime éclairer
L’automne de vos âmes sans feuilles ni corolles.
J’aime voir les pierres-jurons voler vers moi,
Tels des grêlons éructés par l’orage.
Simplement, je serre plus fort entre mes doigts
La boule des cheveux prise de tangage.
Il fait si bon, alors, de retrouver dans ma mémoire
L’étang dévoré d’herbe, les sons rauques d’une vergne,
Mon père et ma mère qui vivent quelque part
Et se fichent pas mal de mes vers et poèmes,
Qui m’aiment comme un champ, comme leur chair,
Comme la pluie de printemps sur les jeunes pousses.
Pour chacun de vos cris jetés sur moi comme des pierres,
Ils viendraient vous égorger avec leurs fourches.
Pauvres, pauvres paysans !
Vous êtes sans doute devenus bien laids,
Craignant toujours Dieu et les entrailles des marais.
Ah, si seulement vous pouviez comprendre aussi
Que votre fils est en Russie
Le premier des poètes !
Votre cœur ne se glaçait-il pas pour lui
Quand ses pieds nus faisaient trempette
dans les flaques de l’automne ?
A présent, voici qu’il déambule en haut-de-forme
Et en souliers vernis.
Mais elle vit toujours en lui, la fougue ancienne
De l’espiègle paysan.
Chaque vache que les bouchers ont pris pour enseigne,
Il la salue en passant.
Et lorsqu’il aperçoit des cochers sur la place,
Retrouvant l’odeur natale du fumier,
Il se sent prêt à porter la queue de chaque cheval
Comme la traîne d’une robe de mariée.
J’aime mon pays.
J’aime énormément mon pays !
Bien que la tristesse des saules le ronge comme une rouille.
J’aime la voix des crapauds résonnant dans la nuit,
Et le groin des cochons que la fange souille.
Le souvenir de l’enfance m’est tendrement douloureux,
Je vois en rêve les soirs d’avril, humides et brumeux.
On dirait que, tout transi, notre érable se penche
Et s’accroupit devant le brasier du crépuscule.
Que j’en ai pillé sans scrupules
Des nids de corneilles, en grimpant dans ses branches !
Est-il resté le même, avec son crâne verdoyant ?
Son écorce est-elle aussi dure que dans le temps ?
Et toi, mon préféré,
Mon fidèle chien tigré ?
Aveugle et glapissant d’être trop vieux,
Tu erres dans la cour en traînant ta queue,
Sans reconnaître au flair les portes ou l’étable.
Oh, qu’ils me sont chers nos tours de petits diables,
Lorsque, ayant volé à ma mère un croûton,
À chacun notre tour nous y mordions,
Sans être dégoûtés l’un de l’autre…
Moi je suis resté le même,
De cœur et d’âme toujours le même.
Bleuets au milieu des seigles, mes yeux fleurissent.
En déroulant la natte dorée des poèmes,
Je voudrais dire quelque chose qui vous attendrisse.
Bonne nuit !
À vous tous bonne nuit !
La faucille du couchant a fini
De tinter dans l’herbe crépusculaire.
Ce soir j’ai follement envie
De pisser sur la lune par la fenêtre.
La lumière est bleue, d’un bleu si unique
Qu’on pourrait y mourir sans peine.
Et peu importe que j’aie l’air d’un cynique
Qui s’est accroché aux fesses une lanterne !
Mon brave, mon vieux Pégase fourbu,
Qu’ai-je à faire de ton trot aux abois ?
Tel un artisan austère je suis venu
Chanter et célébrer les rats.
Ma caboche, comme au seuil de l’automne,
En vin de cheveux écumants s’écoule.
Je veux être une voile jaune
Tendue vers le pays où nous mène la houle.
Novembre 1920
traduit par Henri Abril
in « SERGUEÏ ESSENINE (1895-1925)
L’Homme noir Anthologie bilingue et commentée