Association Encrier - Poésies

Rencontres avec des textes d'auteurs Rencontre avec Georges Perec(1936-1982) / Je me souviens - extrait

Je me souviens comme c'était agréable, à l'internat, d'être malade et d'aller à l'infirmerie.

Je me souviens des postes à galène.

Je me souviens quand on revenait des vacances, le ler septembre, et qu'il y avait encore un mois entier sans école.

Je me souviens qu'au pied de la passerelle qui, en haut de la rue du Ranelagh, traversait le chemin de fer de ceinture et permettait d'aller au bois de Boulogne, il y avait une petite construction qui servait d'échoppe à un cordonnier et qui, après la guerre, fut couverte de croix gammées parce que le cordonnier avait été, paraît-il, collaborateur.

Je me souviens qu'un coureur de 400 mètres fut surpris en train de voler dans les vestiaires d'un stade (et que, pour éviter la prison, il fut obligé de s'engager en Indochine).

Je me souviens du jour où le Japon capitula.

Je me souviens des scoubidous.

Je me souviens que j'avais commencé une collection de boîtes d'allumettes et de paquets de cigarettes.

Je me souviens des « Dop, Dop, Dop, adoptez le shampoing Dop ».

Je me souviens de l'époque où la mode était aux chemises noires.

Je me souviens des autobus à plate-forme : quand on voulait descendre au prochain arrêt, il fallait appuyer sur une sonnette, mais ni trop près de l'arrêt précédent, ni trop près de l'arrêt en question.

Je me souviens que Voltaire est l'anagramme d’ Arouet L(e) J(eune) en écrivant V au lieu de U et I au lieu de J.

... Georges Perec, Je me souviens, collection P.O.L., © Hachette, 1978.

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