Association Encrier - Poésies

Rencontres avec des textes d'auteurs Rencontre avec Jacques Laurent : Extrait de Miroir aux tiroirs

J’ai trouvé sur un blog cette diatribe contre Mallarmé :

Extrait de Le Miroir aux tiroirs roman de Jacques Laurent , dialogue entre Sibylle et Jean :

« – Ah ! Vous êtes fort pour détourner une conversation ! Mais vous ne m'empêcherez pas de vous apprendre pourquoi vous adulez Mallarmé. Par intérêt. À la radio, on interview un mec, on lui demande ce qu'il déteste le plus, il répond : « La bêtise ! » et le tour est joué, sans avoir besoin de le dire il s'est décerné un brevet d'intelligence. Eh bien, il suffit de se réclamer de Mallarmé pour être classé dans l'élite. N'importe quel bourge puant accède à l'élite, s'il sait trois vers de Mallarmé, s'il avoue, presque à contrecœur, comme on reconnaîtrait une faiblesse, qu'il a beau faire, il lui faut reprendre son Mallarmé presque chaque jour, du moins s'en réciter quelques passages, qu'il se sait incapable de vivre sans lui, qu'après tout, ajoute-t-il avec un demi-sourire inspiré, c'est un vice mais qu'il est impuissant à lutter contre. Cette sale comédie est indigne de vous.

Jean s'adossa à la cloison et demanda d'une voix patiente :

– Puis-je vous faire remarquer que jamais au grand jamais vous ne m'avez entendu prononcer le nom de Mallarmé ?

– Vous cachez bien votre jeu, d'accord ! Tous les mallarméens sont des sournois. Et pourtant vous n'êtes pas sournois alors c'est à se demander… Vraiment je ne sais pas pourquoi je vous aime.

Ce dernier mot glissa sur Jean ; il l'interprétait dans un sens anodin, dans le sens d'aimer un copain, sa mère ou les épinards. Plus sensible, peut-être parce qu'elle donnait un autre pouvoir au terme qui lui avait échappé, Sibylle se réfugia derrière Mallarmé et se hâta de reprendre son réquisitoire contre le poète abhorré, contre ses dégueulis d'améthyste, ses abîmes savants comme des chiens de cirque, sa ratatouille de clartés mélodieuses, de chevelures de glace, de robes d'airain, ses ragoûts d'azur séraphique, de joyaux en veux-tu en voilà, de suprêmes tisons, de blonds torrents et de diamants fatals.

– Ce soir, à la télévision…

– Il avait horreur de la réalité, criait Sibylle, le cancre ! Il ne savait même pas la transposer. Ses rares bons vers sont du Baudelaire, non pas plagiés mais inspirés par, ce qui est plus délictueux. Ah ! le salaud ! Avec ses bacchantes jaunes, son regard de gardien de prison, je suis sûr qu'il sentait mauvais des pieds. Et quand on pense qu'il lui a suffi d'écrire un sonnet dépourvu de sens pour que par dizaines critiques et érudits s'acharnent, en faisant avouer les mots sous la torture et craquer la syntaxe, s'acharnent à trouver un sens à tout prix comme si leur idole était un demeuré qui n'avait pas été capable d'exprimer clairement ce qu'il avait à dire, ou un aliéné dont les propos devraient être traduits par un médecin ! »