COURONNE DEHORS,
Craché dehors dans la nuit.
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Sous quelles
étoiles!
l'argent du coeur-marteau battu à gris. Et
La Chevelure de Bérénice, ici aussi, - j'ai tressé ,
détressé ,
Je tresse, je détresse,
Je tresse.
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Gouffre de bleu, en toi
je repousse l'or. Avec lui aussi, celui
dissipé chez les catins et les filles,
je viens et je viens. Vers toi,
aimée.
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Aussi avec blasphème et prière. Aussi avec
chacune, au-dessus de moi,
des massues vrombissantes : elles aussi
fondues en un, elles aussi
phallique nouée vers toi,
Gerbe-et-Parole.
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Avec des noms, imbibés
de tout exil.
Avec Noms et Semences,
avec des noms, plongés
dans tous les calices qui débordent
de ton sang royal, homme , _ dans tous
les calices de la grande
rose du ghetto, depuis laquelle
tu nous regardes, immortel
de tant de mots sur les chemins des matins mortes.
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(Et nous chantions la Varsovienne.
Du jonc aux lèvres, Pétrarque.
Aux oreilles de la toundra.)
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Et monte une terre, la nôtre,
celle-ci.
Et nous n'envoyons
aucun des nôtres en bas,
vers toi,
Babel.
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Extrait de « Sous le soleil noir du Temps » de Gérard Vincent (éditeur L’âge d’homme 1991)p.120-121
De quoi parle ce poème?
De la parole , de la langue , de l ‘amour , du lyrisme .
Dans La poésie comme Expérience , son essai consacré à Celan , Philippe Lacoue-Labarthe fait la remarque suivante : « Si j’en avais la force , j’aurais montré que la poésie de Celan est , en ce sens , une poésie de la douleur et que c’est cela le lyrisme » .
Remarque éclairante et qui nous fait toucher du doigt ce que devient le lyrisme traversé par Celan , ou plutôt ce que Celan nous révèle de l’essence du lyrisme . Le lyrisme est lié à la douleur .
(..)
À travers quelques grandes voix de ce vingtième siècle , la poésie est en chemin et en douleur . Cette poésie a plongé son regard dans les yeux du temps …
Dans ce grand poème , Paul Celan nous introduit au coeur même de sa poétique , celle qui est devenue progressivement et indéfectiblement la sienne , une poétique indissociable de l’éthique . Le vrai lieu d’un homme , c’est sa parole , et ce lieu est un chemin .
(..)
« Personne » devient ici « l’immortel de tant de morts » et de nouveau nous sommes à la frontière du plus grand désespoir et de l’espérance absolue . René Char que Celan a rencontré et traduit , a écrit dans « Fureur et Mystère » : « La pyramide des martyrs obsède la terre »