Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Paul Celan Rencontre avec Paul Celan : Couronné dehors

COURONNE DEHORS,

Craché dehors dans la nuit.

——————————

Sous quelles

étoiles!

l'argent du coeur-marteau battu à gris. Et

La Chevelure de Bérénice, ici aussi, - j'ai tressé ,

détressé ,

Je tresse, je détresse,

Je tresse.

——————————

Gouffre de bleu, en toi

je repousse l'or. Avec lui aussi, celui

dissipé chez les catins et les filles,

je viens et je viens. Vers toi,

aimée.

——————————

Aussi avec blasphème et prière. Aussi avec

chacune, au-dessus de moi,

des massues vrombissantes : elles aussi

fondues en un, elles aussi

phallique nouée vers toi,

Gerbe-et-Parole.

—————————

Avec des noms, imbibés

de tout exil.

Avec Noms et Semences,

avec des noms, plongés

dans tous les calices qui débordent

de ton sang royal, homme , _ dans tous

les calices de la grande

rose du ghetto, depuis laquelle

tu nous regardes, immortel

de tant de mots sur les chemins des matins mortes.

——————————

(Et nous chantions la Varsovienne.

Du jonc aux lèvres, Pétrarque.

Aux oreilles de la toundra.)

——————————

Et monte une terre, la nôtre,

celle-ci.

Et nous n'envoyons

aucun des nôtres en bas,

vers toi,

Babel.

::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

Extrait de « Sous le soleil noir du Temps » de Gérard Vincent (éditeur L’âge d’homme 1991)p.120-121

De quoi parle ce poème?

De la parole , de la langue , de l ‘amour , du lyrisme .

Dans La poésie comme Expérience , son essai consacré à Celan , Philippe Lacoue-Labarthe fait la remarque suivante : « Si j’en avais la force , j’aurais montré que la poésie de Celan est , en ce sens , une poésie de la douleur et que c’est cela le lyrisme » .

Remarque éclairante et qui nous fait toucher du doigt ce que devient le lyrisme traversé par Celan , ou plutôt ce que Celan nous révèle de l’essence du lyrisme . Le lyrisme est lié à la douleur .

(..)

À travers quelques grandes voix de ce vingtième siècle , la poésie est en chemin et en douleur . Cette poésie a plongé son regard dans les yeux du temps …

Dans ce grand poème , Paul Celan nous introduit au coeur même de sa poétique , celle qui est devenue progressivement et indéfectiblement la sienne , une poétique indissociable de l’éthique . Le vrai lieu d’un homme , c’est sa parole , et ce lieu est un chemin .

(..)

« Personne » devient ici « l’immortel de tant de morts » et de nouveau nous sommes à la frontière du plus grand désespoir et de l’espérance absolue . René Char que Celan a rencontré et traduit , a écrit dans « Fureur et Mystère » : « La pyramide des martyrs obsède la terre »