Voici plus de quatre millénaires en Egypte, un homme dialogue avec son bâ, son âme. Il est à la veille de passer le fleuve vers l’ouest.
Ecoutons-le dans son chant ultime :
La mort est aujourd’hui devant ma face
comme la guérison que reçoit le malade
sa première sortie après le temps des maux
La mort est aujourd’hui devant ma face
comme l’arôme de la myrrhe
le repos sous la voile aux jours battus de vent
La mort est aujourd’hui devant ma face
comme un parfum de lotus en fleur
comme la berge de l’ivresse où l’on repose
La mort est aujourd’hui devant ma face
comme un chemin de pluie après l’orage
comme un retour au port sur la nef de combat
La mort est aujourd’hui devant ma face
comme le ciel purifié des nues
comme un pays sans nom où se perd l’oiseleur
La mort est aujourd’hui devant ma face
pareille à ce désir de revoir sa demeure
qui étreint l’homme longtemps captif et libre enfin
( Egypte, (?: première Période intermédiaire (2181-2040 av. J.-C.) - (?: Moyen Empire, XIIedynastie: 1963-1786 av. J.-C.), Papyrus Berlin 3024, dit du Lebensmüde. Dialogue d’un homme avec son âme ba (ou Chants du désespéré) , Troisième chant . Traduction de Gustave Roud (in Cahiers Gustave Roud, n° 3, Lausanne et Carrouge 1982).
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Voilà un texte de Gustave Roud qui accompagne sa traduction de ce Dialogue :
(Tiré de: Pour l'Art, novembre-décembre 1950)
Poésie Eternelle
Quelle secrète puissance une voix venue du fond des âges a-t-elle su garder pour retentir sans cesse en moi plus présente que l'aujourd'hui qui me cerne, ces campagnes d'octobre toutes peuplées de cloches et de herseurs pas à pas au long des labours couleur de rose morte, sous un ciel où crissent les vols d'étourneaux et de ramiers ? Je marche dans les chaumes refleuris parmi des bancs de marguerites promises à la charrue et les petites pensées sauvages. C'est le point de la saison où tout à la fois s'achève et recommence. Les premiers seigles semés pointent déjà hors du terreau, les dernières pommes luisent aux corbeilles des vergers sous les branches délivrées : double triomphe de la vie - et cette voix qui m'assaille, elle, ne parle que de la Mort. A chaque pas on l'entend mieux, jusqu'à n'entendre plus qu'elle. Un homme las de vivre dialogue avec son âme. Ayant dit longuement ses malheurs et d'où lui est venue sa lassitude infinie, il voit soudain la mort proche et cette vision n'est pas celle que ses prêtres lui ont enseignée : le tribunal où comparaître, la pesée du cœur par Thot et Maât, près de la Dévoreuse aux crocs béants, les quarante-deux juges devant qui se justifier... La mort est toute pareille aux délices terrestres les plus simples et la dispensatrice du don suprême, le repos. L'homme chante à son âme cette mort et la supplie d'y descendre avec lui. C'était il y a quatre mille ans, dans un nome de 1'Egypte. C'est aujourd'hui : la poésie ne peut mourir. " Iw mt m hri min mi... Est le mourir devant ma face en ce jour comme... " Peut-on faire écho sans la trahir à cette voix si nue ?
Ce fragment du Dialogue d'un homme las de vivre avec son âme est traduit d'après la version et les commentaires d'Adolf Erman (Berlin, 1896). Roud s’est initié à la civilisation égyptienne grâce aux ouvrages d’Adolf Erman ; il a traduit de l’allemand ce poème, lui même traduit de hiéroglyphes.
Commentaires 1
Le texte égyptien et le poème de Philippe Jaccottet sont tous deux à apprendre par coeur, pour pouvoir s'inoculer à soi-même, souvent, paix et lumière. Merci bien...