La file d’attente.
Le rang n’avait plus d’importance. Chacun avançait en sabot ou en soulier vernis vers la table en bois où le sort du plus humble au mieux loti serait scellé sans espoir d’appel ni de discussion. La longue file formait un ruban, sinueux au loin, puis de plus en plus rectiligne au fur et à mesure ou le but se rapprochait. Dans cette multitude Martin s’était retrouvé pris entre un homme gros qui suait abondamment et une silhouette emmitouflée de hardes dans laquelle il avait mis du temps à reconnaitre un tout petit bout de femme.
Personne ne parlait, mais des soupirs et des bouts de respiration, le frôlement des chaussures avançant d’un pas, entretenaient un bruit continu et une ambiance tendue dans laquelle chacun se retrouvait cloîtré. Encore un pas, encore un autre. La femme devant s’était immobilisée, accusant d’autant l’angoisse qui depuis un moment avait saisi Martin, lui coupant le souffle et lui troublant la vue. N’en pouvant plus, il lui tapa rudement sur l’épaule. Elle se retourna :
« Laisse moi dormir, si tu me frappes encore, tu finiras la nuit sur le canapé »…
Martin en sueur se réveilla en sursaut.