Le Grand Rivage
« De tout temps le rivage a été un lieu de révélation
pour les poètes. » Vieux texte celte, Le Dialogue des deux lettrés
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car toujours revient la question
comment
dans la mouvance des choses choisir les éléments fondamentaux vraiment qui feront du confus un monde qui dure et comment ordonner signes et symboles pour qu’à tout instant surgissent des structures nouvelles ouvrant sur de nouvelles harmonies et garder ainsi la vie vivante complexe et complice de ce qui est - seulement :
la poésie
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une enfance sur le rivage des mouettes par nuées dans les yeux dans l’oreille que de cris comme un déferlement de métaphores ou peut-être un héron ’na h’aonar ri taobh na tuinne mar thuigse leatha fhèin ’s a’ chruinne seul près de la mer tel un esprit seul dans l’univers
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ah, les mouettes :
skrev scravedit strigil gwelenn penn du fraoiged laboused ar meaz labous aod brini mor koulan labous san paol labous sant per beg melen gwennili gwenn gwelan – volant toutes au hasard un hymne au chaos là-dehors dans le vent et le tumulte des eaux
et moi-même hors de moi
les yeux l’esprit grands ouverts rien d’autre que faoileag an droch chladaich l’oiseau d’un rivage de pierres
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dans cette maison de trois étages à deux pas de la mer une maison avec anwar don lavar levawr wrthi une vague sauvage qui gronde et qui jase à côté
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et là-bas dans la nuit
le phare de l’île tour blanche 36 pieds de hauteur
un foyer à 90 pieds
au - dessus de la pleine mer qui lance une lumière blanche intermittente 2 éclairs en succession rapide
toutes les 30 secondes
puissance réelle
200 000 bougies
portée par temps clair 16 milles marins
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et ce fut là- dans le sein des collines devant cette colline neigeuse qui se perdait dans le ciel figé là obscur
interdit
sans parole étranger – alors un cri
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déesse vent sombre soufflant de la mer c’est l’aurore les bancs de moules d’un bleu profond crépitent et se tordent le sable salé reflète dans ses flaques les mouettes réveillées et la première rougeur qui sort de ton ventre ouvert cependant qu’au-dessus de l’île le jour vient froid hurlant
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comme les cendres encore chaudes d’un feu de bois est le corps du héron à présent silencieux au bord de son nid grossier immobile au sommet du hêtre à la cime balancée et moi aux aguets parmi les feuilles rouges qui jonchent la terre les branches éparses arrachées par l’hiver et signes de vie nouvelle ces coquilles bleues maculées de sang qui sentent la mer
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sapins du Canada troncs élagués des yeux apparaissent dans l’écorce des yeux un cercle jaune autour du rouge cœur de l’arbre la résine suinte claire et brune de l’œil-plaie et la sève prend à l’air une pâle couleur bleue – qui dans le silence regarde là
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sarabande rouge dans les feuilles et le vent passe ridant le ruisseau le vent tout autour mais seules pénètrent au fond du bois des rafales égarées pénètrent dans l’ombre et déjà sont allées – simplement les feuilles en sarabande et la ride de l’eau
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assuré que la visée vitale de l’art c’est de jeter à la ronde images témoignages preuves d’une puissance de synthèse accordée à la vie et qui préserve la vie contre la solitude le morcellement les agressions froides de l’espace et du temps
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et que si la surface des choses peut offrir plaisir ou dégoût le dedans des choses donne la vie sachant que le poème qui parle du dedans donne aussi la vie
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comme au détour du sentier dans le bois d’avril : ce monde concentré complexe fortuit trempé de lumière terre pierres herbe mouillée et les rouges branches de l’aubépine – dehors rien que landes nues âpres vallées glaciaires
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ou comme ce champ de fleurs des Alpes
sur les hauteurs de Ben Lawers : saxifrages pensées sauvages gentianes anémones des bois roses des montagnes compagnons angéliques soucis
- assemblage unique
dû à une série de coïncidences une petite couche de roche idéale bien minéralisée pas trop acide comme les couches voisines sur des monts si élevés que des souches précaires ont subsisté là depuis la fin des glaciers : les plantes se sont établies dans une faille leurs racines ont crevé le roc lentement leurs pousses et leurs feuilles ont enfermé des fragments de pierre portés par le vent
ou entraînés par les eaux
et la terre s’est accumulée les fleurs y trouvent substance et la beauté croît
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la beauté est partout même sur le sol le plus dur le plus rebelle la beauté est partout au détour d’une rue dans les yeux sur les lèvres d’un inconnu dans les lieux les plus vides où l’espoir n’a pas de place où seule la mort invite le cœur la beauté est là elle émerge incompréhensible inexplicable elle surgit unique et nue – à nous apprendre à l’accueillir en nous
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Le caillou rude et sans grâce la croûte terne et rugueuse se brise et révèle la merveilleuse agate le rocher fracturé laisse voir une couche violette d’améthyste – un principe d’ordre et de beauté se cache au chœur du chaos la vie se laisse infiniment pénétrer
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elle reviendra la pensée vivante sûre comme ces ailes qui renvoient la lumière exacte en sa beauté sûre comme ces ailes et exacte en sa beauté la pensée vivante elle reviendra
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même au désert disait Kokoschka l’esprit les valeurs essentielles survivront et l’avenir viendra... je ne crains pas la défaite optimiste ni pessimiste je sais ce que je vois une pierre qui tombe les étoiles qui brillent... ma vie pourquoi la perdre à peindre mais quand je peins je m’appartiens dans le cœur de la vie
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car de la nuit soudain vinrent les mouettes à poils blancs vinrent les étourneaux grotesquement et bruyamment les
grives les rouges-gorges les merles
l’hiver prend fin mouvements couleurs mouvements peuplent l’espace jonquilles primevères crocus un visage de jeune fille
qu’à présent mon savoir
s’enracine terre et pluie
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ma vie dans l’obscur comme Hakuyu son nom disait Blanche Obscurité son nom disait l’homme qui vit dans les collines au-delà des Eaux Blanches du Nord – ou bien caché mais en éveil dans les cités d’Europe ma vie à fonder les fondements d’un monde
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car le sommet du cerveau est comme un bloc de quartz rose étrange pierre à la teinte profonde égale rare plus que rare mais qui même altérée (décolorée par exemple par une trop longue chaleur ou trop longtemps au soleil) peut complètement revenir à son éclat premier il suffit d’un abri pour quelques temps d’un endroit sombre humide et froid
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quartz rose – des morceaux épars sur la plage de Coll enchâssé dans le granit sur la rive nord du Loch Eatharna dans le gneiss à Poolewe Glen Logan et Rona : c’est l’âme quand elle émerge enfin du magma originaria tous conflits surmontés – une idée de la terre
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et ce fut l’Allemagne un hiver à Munich (la neige tombe doucement sur Schwabing)
la baraque
où j’ai failli crever de froid aux lisières de l’Englischer Garten (brins d’herbe durcis par le givre) une radio beuglait c’était l’aveugle dans la nuit je connaissais chaque tableau de la Haus der Kunst j’escaladais de mes yeux mes yeux froids de barbare tous les piliers baroques de la cité sans trouver le paradis
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il y a Munch interrogé sur un livre en cours l’autobiographie qui répondait : « je l’ai laissé tomber ce n’est rien qu’un tas informe rien qu’un tas informe » puis : « comme je suis seul – mais je continue oui le travail continue »
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c’est de Goethe que Groddeck écrivait : « Il savait le grand secret s’efforçait de vivre à l’unisson sa vie mêlant son existence séparée au mouvement de l’univers pourquoi s’étonner qu’il paraisse à la fois étrange et familier si froid si distant et pourtant débordant d’énergie d’amour pour la vie »
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il y eut Paris où de ma lucarne au 7è étage je voyais la tour Eiffel lumière rouge un point dans la nuit - et mon souffle
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mes années à Glasgow grand local sombre avec des livres sur trois rayons une table une chaise un lit par terre un tapis grossier (rouge de Connemara) une carpette dans un coin (peau de chèvre du Tibet) sur le premier mur il y avait une estampe de Hokusai sur le second une radiographie de mes côtes sur le troisième une longue citation de Nietzsche sur le quatrième rien du tout – c’est celui que j’ai traversé avant d’arriver où je suis
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et maintenant j’ai dans la tête une vie comme un cercle qui se dilate sans cesse à force de connivence et de compréhension plutôt qu’un centre farouche de pure conscience de soi je veux le tout circonférence et milieu dans le centre c’est la fin des combats maintenant que de signes tout autour
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oui tel Kandisky de retour à son atelier au crépuscule posant les yeux sur une toile « d’une beauté indicible incandescente » souvent l’ordinaire de ma vie effacé par l’oubli par l’habitude tout à coup s’illumine materia poetica d’une réalité nouvelle toujours plus riche et j’avance
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aussi quand un physicien très loin dans sa recherche affirme que la porte vers l’inconnu est un « univers de contrastes groupés en ensembles de relations avec des aspects d’ordre et de désordre des changements réels et possibles » je dis c’est là mon espace c’est le monde où je passe où je voudrais voir clair
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et quand un lettré japonais parlant des suites de poèmes waka (cent parfois dans une même série) écrits à l’époque de Kamakura (XIIIe et XIVe siècles) dit que « le résultat était souvent d’une beauté kaléidoscopique aux facettes infinies révélées au lecteur en un mouvement très lent »
je reconnais mon but
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dans les cristaux même on trouve désordre et nuages et comme notre but n’est point la perfection mais plutôt la forme le mouvement spontané pourquoi désespérer se faire malade de la division nous devons penser clair et juste et savoir que dans un espace de signes suffisamment riches même à l’aigu problème du désordre il peut être mis fin par ce qu’on appelle l’approximation semi-classique
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« Si j’appelais
qui m’entendrait parmi les anges et si l’un deux soudain me prenait sur son cœur je mourrais de sa trop pleine présence le Beau n’est rien que le commencement du Terrible encore supportable et combien nous l’admirons qui dédaigne impassible de nous détruire tout ange est terrible aussi je me contiens je refoule l’appel de mon obscur sanglot hélas qui pourrait nous aider ni les anges ni les hommes et déjà le savent les subtiles bêtes que nous sommes guère à l’aise dans ce monde défini »
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ne parlons plus des anges mais de la grande pillarde filant le long de la côte est de l’Ecosse le corps vibrant de cris par le vent blanc de septembre ou bien du héron gris qui se pose dans un bruit d’ailes les pattes tendues la gorge rauque après une pêche solitaire sur la côte d’Ayrshire dans l’ombre bleue d’un soir d’août
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car le moment présent est celui qu’indique le baromètre encastré dans un mur de North Street à St Andrews (rougeur sur l’eau ce matin d’avril lourd fracas des vagues sous la jetée) « quand la pression monte après les tempêtes les vents seront clairs »
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Ici dans le Nord au-delà des grès rouges dans les terres extrêmes je peine par ce temps rude à ce monstre de poème mon camp sur ce cap qui court vers la mer des rafales de blancheur battent les vitres j’écris dans l’allégresse jusqu’à poser sur la page tout le bataclan penses-tu que j’en viendrai à bout crénom je vais essayer
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dans cette maison où le bois dans l’âtre brûle et brille rouge cette maison où la bougie luit fine flamme au cœur bleu cette maison où le corps-mouette de la fille repose dans sa nudité et le grand vent du nord souffle blanc depuis déjà dix jours
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un homme un seul me tient ici compagnie c’est Thomas of Cromarty son fantôme grand grimoire ambulant et Altus Prosator en personne féroce et fou comme une falaise de gneiss lewisien dominant la côté avec sept espèces... d’éclairs jouant autour de ses crêtes au fond de son cœur obscur un chaos qui se tord de rire
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Urquhart reçoit en héritage un domaine dans l’extrême Nord de l’Ecosse complètement délabré et constitue une bibliothèque (que confisqueront les usuriers) avec des livres glanés dans seize pays il écrit dans son manoir de Cromarty un livre monstrueux et pédant un traité de trigonométrie appelé Trissotetras un Pantoxponoxanon qui trace la généalogie des Urquhart depuis la glaise rouge dans les mains de Dieu une traduction surrabelaisienne de Gargantua et de Pantagruel et Logopandecteision un ouvrage sur les possibilités de forger « un nouvel idiome d’une bien plus grande perfection » que toutes les langues connues pour tous les esprits « fertiles et ingénieux » - et subitement vers la soixantaine il meurt sur le continent d’un éclat de rire énorme
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je pense aussi parfois à Donnacha ban nan Orain dont la femme savait distiller le whisky comme personne et à Alasdair MacMhaigstir Alasdair l’auteur du fameux birlinn – et à Iain Mac-Codrum nan Ron qui écrivit le truculent Oran na Muice et fit d’un bloc de gneiss cyclopéen informe la pierre de sa tombe – et à Hugh MacDiarmid le Renaissant tout plein de références absconses trimant comme bœuf au labour
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et larus atricilla la mouette rieuse pagophila eburnea la mouette ivoire rhodostethia rosea la mouette rosée toutes m’accompagnent dans la nuit totems porteurs de lumière comme adee l’oiseau-tonnerre des Kwakiutl là-haut sur la côte nord-ouest de l’Amérique car ceci est mon poème-potlatch (puisque comme dit le père Rabelais « heureux nous resputons si à autruy tousjours donnons et eslargissons beaucoup ») un de ces « beaulx livres de haulte graisse » qui doivent venir si notre temps veut survivre alors Indiens Chinois et Esquimaux savants et vous poètes mes compagnons toutes âmes égarées sur la terre en délire donnez-moi votre main ma pensée vous attend je retrouve mes prières d’autrefois de tout j’ai grand besoin
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mais où que je sois j’ai mon abri dans les bois comme ici dans ce tableau chinois sol de rocher arbre terre et herbe traversé d’eaux tumultueuses peint par le moine Chang-jui 1729 dans le style de T’ang Yin l’un des Quatre Grands Maîtres
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je vis à l’estime et j’écris mais je n’oublie pas que du hasard de la vie du hasard l’essentiel toujours surgit
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par ce chemin le « multiple sentier qui s’écarte de la commune errance » et que Michael Scot maître esprit dans l’Europe du XIIIè siècle un « internationalgebildeter Mann » à l’encyclopédique savoir bientôt changé en cristaux de pensée lumineuse un amoureux des subtiles distinctions par exemple sidus et astrum eux-même différents de stella et tous trois de signum imago ou planeta (il répugnait à se contenter d’un simple nom générique) appelait « voie du savoir vrai et poésie naissante »
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car est poème ceci – tout un monde dense de faits et de sensations qui traverse le thalamus le ventre du cerveau et monte sans court-circuit au sommet du cortex d’où raffiné par l’abstraction il redescend langage sur la langue
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et aussi l’effort de saisir et de dire cela tout le foisonnant univers que l’homme quelquefois si peu rassemble
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ou bien encore c’est l’éclair jailli des pierres entrechoquées c’est le croissant de lumière bleue de la hache qui fend l’air c’est la vague qui se gonfle et se courbe et s’écrase en écume
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enfin la figure complexe qui affirme l’union des contraires et pose l’un dans le multiple la possible et difficile harmonie de la conscience humaine l’αρμονία dont parle Héraclite
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mais toujours ce langage exemplaire subtil comme la fleur fluide comme la vague souple comme le rameau puissant comme le vent dense comme le roc unique comme le moi beau comme l’amour
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certaines tel le tournesol obsédées de soleil d’autres s’ouvrant au soir comme le cereus la fleur de minuit ou le convolvulus qui déploie ses pétales de lune au soleil couchant qui sait si la simple anémone des bois sa sérénité son accès direct à la force du soleil aux richesses de la terre n’aurait pu faire plus ample cerveau plus calme que le tohu-bohu des vies animales d’où nous venons
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qui ne l’a observé le mouvement primordial le jeu du vent sur l’eau l’ondulation la membrane soulevée excitée animée par le souffle insistant la courbure le fléchissement délibéré l’effervescente blanche le brillant jet d’écume la longue et lourde chute et le ruissellement sans fin
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n’aurions-nous que ces rochers dispersés sur la plage (le vent ce soir souffle fort et il pleut sur la mer) combien nous pourrions apprendre car vivre dans le concert des rochers est possible et celui-là qui connaît parfaitement un seul rocher dans son être dense et son rapport avec mer et ciel a sans doute parole plus vraie pour les frères humains que cet autre qui ne cesse de vivre et pourrir dans l’entassement des cités qui ne disent rien de la vie
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comme ce rocher là-bas qui affronte les marées affleurement de grès gris sombre (tels les rochers de notre enfance gravés de nos signes) avec de part en part une strate de granit blanc – comprends cela, poète.
Traduit de l'anglais par Patrick Guyon et Marie-Claude White
Les éditions du Nouveau Commerce, 1980