Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Zéno Bianu Rencontre avec Zéno Bianu (1950 - ) : Credo

Écoutez Denis Lavant & Zéno Bianu

CREDO

je crois

à la vie à la mort

à la grande amour donnée

ou traversée


je crois

à la vraie gravité

à la tendresse impitoyable


je crois

au cœur de la nuit

au cœur de la pluie


je crois qu’il faut mourir

puis vivre

mourir avant de mourir

pour ne plus aimer mourir


je crois à l’entrée en résonance

à l’entrée

en évidence

à la toute transparence


je crois ne rien pouvoir haïr

de ce que j’ai fait


je crois au regard renversé

je crois

que chacun peut sortir vivant d’ici


je crois au rassemblé

à l’ouvert

au levé

au tremblé

au centième de soupir


je crois que tout mot juste

vient de l’intérieur du ciel

et que ce ciel

vrille au plus profond de nous


je crois à la ferveur fluide


je crois

qu’il faut anéantir

pour magnifier


je crois à Artaud

lorsqu’il faisait l’exposition Van Gogh

au pas de course

pour mieux la regarder

pour mieux la restituer


je crois à Albert Ayler

lorsqu’il joue à l’enterrement de Coltrane

dans une incandescence

réfractée

réfractaire

à l’horizon du déluge-


je crois

comme le Conrad du Cœur des ténèbres

qu’il faut avancer

dans sa propre obscurité

pour y voir clair

que le frémissement

ne peut jamais surgir

là où sont la honte

la haine

la peur


je crois à l’opacité solitaire

au pur instant de la nuit noire

pour rencontrer sa vraie blessure

pour écouter sa vraie morsure


je crois à ces chemins

où le corps avance dans l’esprit

où l’on surprend

le bruit de fond des univers

par ces yeux

que la nuit

a pleurés en nous

par ces yeux que la vie

a lavés en nous


je crois comme Trakl

qu’on peut boire le silence de Dieu


je crois

qu’il faut habiter la lumière

par un long questionnement

sans réponse


je crois à Zoran Music

dessinant ses fagots de cadavres

sur de mauvais papiers

trouvant encore la vie

au fond du désarticulé

au fond de l’incarné

au fond de l’éprouvé

exorciste

vertical


je crois aux cassures de fièvre

aux sursauts de nuit

aux césures de nerf


je crois

qu’il faut prendre appui

sur le vent

s’agenouiller en mer

et se vouer

à l’infini


je crois

qu’il faut penser

comme chute une météorite

comme pleure une étoile-mère


je crois

qu’il faut saisir

l’intime conscience de son désastre

pour commencer

à vraiment sourire

pour s’aventurer

au plus bleu du bleu

Zéno Bianu, Infiniment proche suivi de Le désespoir n’existe pas, Préface d’Alain Borer, Poésie/Gallimard, Édition numérique, 2016.pp. 1 à 4.