Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Kenneth White Rencontre avec Kenneth White : Les cygnes sauvages

"Comment l'oiseau en cage peut-il comprendre les aspirations du cygne sauvage ? "

Koan Zen du maître Obscurité Blanche

Elégie, nostalgie, cela est fort ici, à Tokyo . Les derniers refuges de l’âme — on risque de s’y laisser engloutir. C’est pour cela que je veux aller vers le nord, peut-être pour y retrouver quelque chose, peut-être pour perdre quelque chose, avec cent poèmes en tête :

Encore une fois, encore une fois

me voici traversant

le pont de Hamama

les gens doivent penser

que je parcours le monde entier .


Au-dessus de la terre

des paquets de brume

au-dessus de la mer

des hordes de mouettes

c’est un bien beau pays

que ce pays de Yamato


Du cap de Naniwa

à la beauté merveilleuse

où je me tiens en cet instant

j’embrasse du regard le pays tout entier

il y a l’île d’Awa

l’île d’Onogoro

l’île d’Ajimasa

et l’île de Saketsu.


À Suminoe

tandis que le vent d’automne

souffle à travers les pins

on entend le grondement

de la mer aux vagues blanches .

Marée haute, marée basse

baies et rivages

oh, je veux aller les voir

toutes ces îles

ce millier d’îles!


J’aime la sensation géographique de ces poèmes, j’aime la fraîcheur de perception qu’ils dégagent .

Soudain Kenji lâcha :

« Nous avons trahi le vrai monde .

—Le vrai monde? Qu’est-ce que c’est ?

—Je ne sais pas. Mais ce n’est pas ça —et il fit un geste de la main en direction de l’autoroute .

—Eh bien, peut-être que nous y reviendrons . Ce truc dingue ne pourra pas durer longtemps . Ça pètera un de ces jours, bientôt .

—Trop fort et trop tard .

—Pas si on garde ouvertes d’autres routes .

—Garder ouvertes d’autres routes?

Kenji se mit à ruminer . J’étais moi-même moins optimiste que j’en avais l’air .

Huit heures, par un matin pluvieux d’octobre, sur l’autoroute de Tôhoku .

Pages 50-51.(Première édition en 1990, réédité en2013)