Association Encrier - Poésies

Ossip Mandelstam Rencontre avec Ossip Mandelstam : À nul ne dis jamais rien....

À nul ne dis jamais rien, non,

De tout ce que virent tes yeux :

L’oiseau, la vieille, la prison

Ou bien autre chose— oublie-le…


Car pour peu que s’ouvrent tes lèvres,

Tu sentirais, quand le jour vient,

Dans tout ton corps comme une fièvre,

Un frémissement de sapin.


Et tu reverrais la datcha,

La guêpe, ton petit plumier,

Ou les myrtilles dans les bois

Que jamais tu n’as ramassées.

Octobre 1930

Traduction de Henri Abril

Ossip Mandelstam-Les Poèmes de Moscou- Page 37 -éditions Circé 2009

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Commentaires de Henri Abril sur ce poème :

« Cette évocation du Nord fait en quelque sorte pendant au cycle arménien : souvenir suscité par la boite aux crayons de couleurs. D’où l’enfance, le plumier, la datcha, unique lieu de rencontre avec la nature pour un enfant des villes … » (Nadejda Mandelstam) ; celle-ci note également que le thème des « myrtilles jamais ramassées »sera bientôt développé dans la prose du Voyage en Arménie: «  Enfant, un amour-propre stupide, et une fausse vanité, me retenait chaque fois d’aller à la cueillette des baies, d’abaisser la main vers les champignons, m’attiraient les pommes de pin gothiques et les glands hypocrites dans leurs calottes monacales… ».

Avant l’enfance, toutefois, Mandelstam a égrené ses souvenirs de Feodossa pendant la guerre civile : la petite vieille qui «  s’occupait de son locataire comme d’un oiseau, veillant à lui changer d’eau, à nettoyer sa cage, à lui jeter du grain. En ce temps là, mieux valait être oiseau qu’un homme, et grande était la tentation d’être l’oiseau de la vieille femme…» (Le bruit du temps1925); Quant à la prison, le poète en avait à deux reprises fait l’expérience: en août 1920 sous Wrangel, puis en septembre de la même année sos les mencheviks géorgiens. (pages 248-249)

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