Association Encrier - Poésies

Ossip Mandelstam Rencontre avec Ossip Mandelstam :Le miel doré coulait

Le miel doré coulait de la bouteille si lourdement,


Si lentement que l'hôtesse put dire :

 
Ici, dans la triste Tauride où le sort nous a jetés,


Nous ne savons ce qu'est l'ennui - en regardant par-dessus son épaule.


 
Partout l'office de Bacchus, comme s'il n'y avait au monde


Que des gardes et des chiens - on va sans voir personne

Les jours tranquilles roulent comme de lourds tonneaux.


Des voix au loin, dans une cabane - on ne comprend ni ne répond.



Après le thé, nous sommes sortis dans l'immense jardin brun,


Les sombres stores baissés aux fenêtres comme des cils.


Passées les colonnes blanches, nous sommes allés voir la vigne


Où les montagnes endormies se couvrent de verre aérien.


 
J'ai dit : la vigne est pareille à une bataille d'autrefois


Où des cavaliers crépus s'affrontent en ordre bouclé.


Depuis la Tauride caillouteuse l'art de l'Hellade - et voici


Des hectares dorés les nobles rangées sous la rouille.

-


Oh ! dans la chambre blanche, le silence comme un rouet.

  
Cela sent le vinaigre, la peinture, le vin frais de la cave.


Te souviens-tu, dans la demeure grecque : l'épouse aimée de tous


- Non pas Hélène, l'autre - tout ce temps qu'elle a brodé ?


Toison d'or, où donc es-tu, Toison d'or ?


Pendant tout le trajet les lourdes vagues ont grondé


Et, quitté le vaisseau lassant sa toile sur les mers,


Ulysse est revenu, plein d'espace et de temps.



Ossip Mandelstam, traduction de Philippe Jaccottet, p 36 de Simple promesse (La Dogana, deux éditions, 1994 et 2012)