Association Encrier - Poésies

Rencontres avec des textes d'auteurs Rencontre avec Olivier Rolin : Extrait de Sibérie

Extrait de Sibérie de Olivier Rolin, pages 34-35-36 (Verdier poche-2016

Du vert partout, des milliers de kilomètres de vert. Même pour ceux, c'est mon cas, qui ne sont pas particulièrement sensibles aux beautés de la campagne, la magnificence du printemps sibérien à quelque chose d’émouvant<;

« Campagne «, naturellement, est un mot qui ne convient nullement.

La Sibérie, une campagne ?… Je l'ai dit déjà, à propos d’Irkoutsk, il y a des mots français, disant les choses, les paysages français, qui ne conviennent aucunement aux choses ou au paysage russe.

La Sibérie n'est ni une province ni une campagne, c'est un continent.

Peut-être le mot « solitude » serait-il meilleur, dans son sens ancien et latin de « lieu désert ». Vastae, solitudines,

La campagne, c'est un paysage humanisé, cultivé, sillonné..

Ici, pas une culture, pas un champ labouré. Quelques potagers dans les villages, c'est tout. Presque pas de chemin ou de pistes.

, Enfin libéré de la prison de la neige, la végétation jaillit avec violence de la terre noire. Incendies de flammes vertes. Milliers de fleurs, étoiles des lys d'un jaune éclatant, bouquets d'Iris mauves dans les zones marécageuses, grande ombelles blanches.

Ailleurs, la taïga.

Ombres et rayons à travers les lances des troncs. La Russie est une forêt, (pas sûr non plus que « forêt «  rende bien le mot russe, lies, qui sonne comme notre liesse) .

Rouss maïa, Diriévannaia Rouss! chante, Essénine : « Ö ma Russie ! Ma Russie de bois ! «

Nabokov trouvait "platement académiques", les tableaux du peintre Ivan Chichtine, et il n'avait pas complètement tort (ce qu'il aimait en eux, c'est qu'il pouvait dans la salle où ils sont accrochés au musée de Saint-Pétersbourg, embrasser à loisir, celle qui appelle Tamara dans Autres Rivages.

Mais ces obscurités trouées de clarté, rayées par les hautes colonnes roses ou argentées des pins ou des bouleaux sont, je crois un leitmotiv de l'imaginaire paysager russe.

Ces celles de lumière dans les sous-bois de Chichtine sont aussi celles avec lesquelless, au début du roman qui porte son nom, Ada commence à ensorceler Van, et les « mouchetures du soleil dans les tunnels de feuillage » sont un moment récurrent des romans de Nabokov , étroitement liés au désir charnel.

Même fascination pour les jeux sylvestres de l'ombre et de la lumière chez Pasternak Le docteur Jivago :

« Depuis son enfance, Iouri Andreïevitch aimait la forêt lorsque le soir elle est transpercée par le feu du couchant. À ces moments, il avait l'impression de se laisser pénétrer lui par ces colonnes de lumière. »