Association Encrier - Poésies

Rencontre avec divers poètes Rencontre avec André Laude : Sur chaque visage

Sur chaque visage

Une agonie m’interpelle

Lion en cage

Je tourne dans la cité des morts-vivants

Sans figure

Sans lignage.


Je suis déjà ailleurs autre part

Je suis dans le paysage ignoble

De l’absolu désespoir

Je suis le voyageur rejeté de miroir en miroir


Et qui hurle parce qu’il ne s’y retrouve pas

Et que l’horreur gonfle ses paupières

Et qu’il a tellement faim de lumière

Qu’il mangerait crus les petits enfants aux yeux

De craie blanche.

André Laude

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Ce poème est cité sur le blog de Roland Jaccard : voilà ce qu'il y écrit sur André Laude :

"Je ne devrais pas l’avouer, mais quand je voyais André Laude à Saint-Germain–des-Prés je changeais de trottoir. Non pas par pingrerie — je savais qu’il me taperait —, mais par pitié : sa déchéance me déchirait le coeur. Nous avions travaillé ensemble au “Monde”, il m’avait entraîné dans l’aventure du “Fou parle”, je le considérais comme le plus grand poète vivant… mais je savais qu’en dépit des efforts de ses amis, rien ne pouvait l’arrêter dans sa course au néant. Il n’était même pas un clochard céleste, tout juste un de ces miséreux édentés dont l’haleine puante vous fait fuir.

Il ne voulait pas se ressaisir… ou peut-être sentait-il qu’il n’en était plus capable. J’ai compris avec lui l’inanité des efforts pour aider une personne à terre qui ne veut pas se relever. Nul parmi ses amis, notamment François Bott et Roland Topor, ne doutait de son talent, mais chacun savait qu’il était à bout de souffle et qu’il se complaisait dans la pose de l’artiste maudit. Il n’est pas donné à chacun d’avoir l’envie ou la force de poursuivre un parcours dont il a pressenti l’inanité et qu’il vit à chaque instant dans sa chair l’horreur.

Nous avons assisté à sa chute, effrayés par l’énergie qu’il mettait à se détruire. Nous parlions du suicide en gentleman, il le vivait jour après jour en pleurant de ne plus pouvoir caresser l’aube ou un corps de femme sans les déchirer. Lui, le rebelle était en outre devenu geignard… et c’est ce qui nous attristait le plus. Il avait oublié la règle que nous nous étions fixée : Sustine et Abstine !

Bref, LE PLUS GRAND POÈTE VIVANT ÉTAIT DEVENU UNE LOQUE. Et cela nous navrait tant que nous l’évitions, même si nous nous cotisions pour l’aider à survivre.

Il survit dans ses poèmes. En voici un qui m’est cher ."