Association Encrier - Poésies

Rencontres avec des textes d'auteurs Rencontre avec Antonio Tabucchi : la rue de la Saudade (à Lisbonne)pour faire l'expérience personnelle de la saudade ...

En liaison avec le poème Saudoso de Alberto Caeiro : (Voir ICI )

Sur son site « Fine Stagione » , Emmanuel F. a publié le 13 mai 2014 un billet intitulé « La rue de la Saudade » . Dans ce billet il donne une traduction personnelle d’un texte de Antonio Tabucchi , paru en 2007 dans la revue Grazia Casa puis dans le recueil Viaggi e altri viaggi Voyages et autres voyages paru aux éditions Feltrinelli.

Voilà sa traduction :

rua da saudade.jpg

« Les touristes sont restés dans la rue au-dessous, en face de la cathédrale médiévale, sur cette colline de Lisbonne où se dresse le château de Saint-Georges. Vous avez choisi de ne pas les suivre, parce que la cathédrale (Sé, en portugais, contraction du latin "sede", parce qu’il s’agissait aussi du siège épiscopal) et le château de Saint-Georges sont deux destinations obligatoires pour le visiteur, deux symboles de la ville, qui font partie des rares monuments médiévaux épargnés par le terrible tremblement de terre qui dévasta Lisbonne en 1755. Mais vous les avez probablement déjà vus, seul ou en compagnie d’éventuels compagnons de voyage, ou vous les verrez bientôt, parce que l’on ne peut pas et l’on ne doit pas échapper aux monuments obligatoires d’une ville. Ici, au contraire, dans la rue de la Saudade, à quelques mètres de la cathédrale, il ne vient jamais personne. Le visiteur occasionnel de Lisbonne n’a aucune raison de s’y rendre, parce que rien apparemment ne le justifie, et c’est la raison pour laquelle le guide que vous avez dans la poche, aussi précis soit-il, ne la mentionne sûrement pas.

Mais il y a des intérêts qui échappent même aux meilleurs guides. En l’occurrence, la saudade, à laquelle est justement dédiée cette petite rue. La saudade est un mot portugais pratiquement intraduisible, parce qu’il s’agit d’un mot-concept, qui ne peut être restitué dans d’autres langues que de façon approximative. Sur un dictionnaire portugais-français classique, il sera traduit par "nostalgie", un mot trop récent (il a été forgé au dix-huitième siècle par le médecin suisse Johannes Hofer) pour évoquer une affaire aussi ancienne que la saudade. Si vous consultez un bon dictionnaire portugais, comme le Morais, après l’indication de l’étymon soidade ou solitate, c'est-à-dire "solitude", vous trouverez une définition très complexe : « Mélancolie causée par le souvenir d’un bien perdu ; douleur provoquée par l’absence d’un objet aimé ; souvenir doux et à la fois triste d’une personne chère ». Il s’agit donc de quelque chose de poignant, mais qui peut aussi être attendrissant, et qui n’est pas seulement lié au passé, mais aussi au futur, parce qu’il exprime un désir que nous voudrions voir se réaliser. C’est là que les choses se compliquent parce que la nostalgie du futur est un paradoxe. Un équivalent plus approprié pourrait être le disìo dantesque, qui porte avec lui une certaine douceur, puisqu’il « attendrit le cœur » . En somme, comment peut-on définir ce mot ?

C’est justement pour répondre à cette question qu’après vous être éloigné de quelques mètres, vous êtes venu ici. Parce que du haut de cette petite rue, le regard embrasse toute la ville et l’immense embouchure du Tage. Et tout de suite après se trouve l’Océan, et l’horizon infini. Le portugais inconnu qui donna son nom à cette rue avait certainement bien observé le panorama. Un grand linguiste a dit qu’il est impossible d’expliquer le sens du mot "fromage" à quelqu’un qui n’a jamais goûté un fromage. De la même façon, pour comprendre ce qu’est la saudade, il n’y a rien de mieux que de l’éprouver directement. Le meilleur moment est évidemment le coucher du soleil, qui est par excellence l’heure de la saudade, mais on peut aussi recommander certains soirs de brume atlantique, quand un voile descend sur la ville et que s’allument les réverbères. Là, seul face à ce panorama, vous éprouverez peut-être une sorte de peine. Votre imagination, en faisant un croche-pied au temps, vous fera penser qu’une fois rentré chez vous et retrouvées vos habitudes, vous éprouverez la nostalgie d’un moment privilégié de votre vie où vous étiez dans une petite rue de Lisbonne, très belle et isolée, en train de contempler un panorama bouleversant. Et voilà, le tour est joué : vous éprouvez la nostalgie du moment que vous êtes précisément en train de vivre. C’est une nostalgie au futur. Vous venez de faire l’expérience personnelle de la saudade. »

Antonio Tabucchi Viaggi e altri viaggi  Feltrinelli Editore, 2010 (Traduction de Emmanuel F.)

Pour trouver le billet complet , cliquez à-côté :ICI

Tage.jpg

Commentaires 3

  • Emmanuel F.

    Ce serait peut-être plus correct avant de reprendre intégralement un billet de blog de demander l'autorisation de son auteur, par exemple en passant par les commentaires du blog. Les traductions demandent du temps et du travail, alors que leur reprise n'exige qu'un rapide copié-collé...

  • alph

    Je reconnais que j’aurais dû solliciter votre autorisation pour reproduire votre traduction et je vous prie de m’excuser : je mets ce billet hors —ligne sur le champ .

    Je suis depuis longtemps votre site que je trouve fort intéressant : j’ai tenté plusieurs fois d’y mettre des commentaires ; sans succès (je ne suis pas inscrit à Facebook) .

    Notez que j’ai bien indiqué qu’il s’agit de votre traduction et que j’ai placé un lien vers votre site et le billet en question .

    Pour terminer , je vous renouvelle mes excuses

     

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    Suite à cette réponse  , j"ai reçu ce qui suit de Emmanuel F. :

    Je ne demandais pas la suppression du billet et j'avais compris que vous étiez de bonne foi puisque vous aviez indiqué la source ; j'ai simplement été agacé parce que je retrouve assez souvent mes billets copiés collés sur des sites où l'on n'a pas toujours la courtoisie d'indiquer la provenance. Votre site est fort intéressant et si d'autres traductions vous intéressent, je vous autorise volontiers à les reprendre ; l'important étant quand même que les textes circulent...

     

    Pour les commentaires, vous m'étonnez parce que je ne suis pas moi-même sur Facebook et tout le monde peut commenter sur mon blog, il suffit d'indiquer un nom ou un pseudo ; il n'est pas du tout obligatoire d'avoir un compte Google ou Facebook...

     

    Bien à vous et en toute cordialité

     

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    Je remercie Emmanuel F. pour son autorisation de publier sa traduction .

    Je remets donc en ligne ce billet .

     

     

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    alph

  • Emmanuel F.

    Merci à vous de votre amabilité et n'hésitez pas si vous le voulez à citer d'autres extraits de mon blog ; je suis pour le partage sur le Net et la circulation des textes, quand cela se fait dans la confiance et la convivialité !