Écoutez le chant du rossignol
Le rossignol
Un poème de conversation, avril 1798
Pas un nuage, plus une trace du jour englouti
qui distinguerait l’ouest , pas un de ces longs et fins traits
de lumière morne aux nuances obscures et tremblantes :
Viens, nous nous reposerons sur ce vieux pont couvert de mousse .
Vois-tu les lueurs du courant dessous ?
Écoute-le , pas un murmure . C’est qu’il coule en silence
sur son lit de verdure. Tout est calme ,
la nuit embaume .Certes les étoiles luisent bien peu,
songe alors aux averses printanières
qui réjouissent tout ce vert, et nous trouverons plaisir
à ce faible scintillement d’étoiles.
Oui , écoute : le rossignol commence .
« Le plus musical, le plus mélancolique » des oiseaux :
Un oiseau mélancolique? Vrai , quelle drôle d’idée!
Point de mélancolie dans la nature,
quelque promeneur égaré dans sa nuit , le coeur brisé ,
souvenus lourde faute ou lent désordre , amour ignoré
(le pauvre jette sur tout son chagrin,
tout résonne et raconte ses malheurs) ,
le premier , lui , un autre , qualifia
notes et chant d’accents mélancoliques .
Bien des poètes reprirent ce trait
du poète qui l’avait bâti et qui eût bien mieux fait
d’aller étendre la jambe auprès d’un ruisseau forestier
au soleil ou sous la lune, l’esprit tout entier livré
aux influx des ombres des sons et des éléments changeants ,
oublieux de son chant comme de sa gloire . Ainsi sa gloire
eût dû prendre part à l’immortalité de la Nature ,
son chant la rendre plus aimable encore.
Comme elle , il en aurait été aimé . Il n’en sera rien .
Les jeunes et les jeunes filles les plus poétiques,
qui dilapident les profonds crépuscules du printemps
aux salles de bal et théâtres à la mode, ceux-là ,
pleins de compassion docile , doivent pousser leurs soupirs
sur le ton de Philomèle et de ses pitoyables plaintes.
—————————————
Mon ami, et toi, notre sœur, nous sommes
d’une autre tradition , aussi ne pouvons-nous profaner
les douces voix de la Nature toujours
tout amour et toute joie . Le gai rossignol ,
c’est lui qui accumule, presse et lâche,
en trilles rapides et denses ses notes délicieuses,
comme s ‘il craignait qu'une nuit d'avril
ne lui fût trop courte pour donner son chant dans tout son long ,
l’ âme toute délivrant sa musique!
————————————————
Je connais un bois assez étendu près d’un vieux château
que les seigneurs n'habitent plus. Du coup
ce bois s’est-il ensauvagé de ronces .
Les allées soignées se sont dégradées, comme les pelouses .
Les boutons-d’or , la mauvaise herbe ont envahi les sentiers ,
mais nulle part , en un seul lieu , jamais
n’ai-je entendu autant de rossignols.Tout près comme au loin,
dans les bosquets , les fourrés, sur toute l’étendue du bois ,
de se répondre et provoquer à chanter les uns les autres,
— escarmouches , passages capricieux,
murmures musicaux, vives romances,
un grave son flûté plus doux que tous —
d’emplir l'air d’une si belle harmonie,
que fermeriez-vous les yeux, vous pourriez
penser qu’il fait jour. L’arbre au clair de lune,
dont le feuillage couvert de rosée est à peine éclos,
qui sait , peut-être les y verrez-vous ?
Brillants , leurs yeux , brillants et grands ouverts,
étincellent . Les vers luisants dans l'ombre
Allument leur torche d'amour.
Une très douce jeune fille loge près du château .
Le soir venu , la nuit près de tomber
(telle une Dame qui se dédierait
à bien plus que la Nature d’un bois)
elle glisse le long des sentiers; reconnaît tous leurs chants .
Douce ô combien ! Souvent, un court moment,
tant que la lune était perdue , cachée derrière un nuage,
elle notait une pause , un silence : or ,
la lune émerge, éveille terre et ciel
d’un seul coup et ces oiseaux vigilants ,
tous , éclatent un choeur de ménestrels,
comme une bourrasque vive et soudaine aurait secoué
un cent de harpes éoliennes . Puis
elle voit beaucoup de ces rossignols follement perchés
sur une brindille fleurie toujours balancée au vent
qui , réglés sur elle , chantent sans frein
comme l’ivresse joyeuse titube.
———————————————
Adieu Siffleur ! Adieu , à demain soir!
Adieu à vous , mes amis! ! Court adieu !
Nous avons si longuement et si plaisamment promené,
retrouvons nos chez-nous … Ce chant toujours ?.
Quel plaisir s’il m’arrêtait ! Mon petit
garçon , capable seulement de sons inarticulés ,
brasse et mélange tout de son zézaiement imitatif;
Comme sa main viendrait se placer derrière son oreille !
De sa petite main, l’index levé,
comme il nous enjoindrait de l’écouter ! Je juge avisé
d’en faire un ami de la Nature, qu’il joue avec elle .
Il connaît bien l’étoile du soir. Une nuit , réveillé
dans la plus grande angoisse (une souffrance
avait fourbi cette étrangeté : le rêve d'un bébé)
je me hâtais avec lui à notre jardin .
Sitôt la lune aperçue, il se tut ,
retint ses sanglots, riant en silence ,
et ses grands yeux noyés d’un bain de larmes ,
oui : étincelaient au rayon doré de la lune . Bon !
Un père a fait ce conte . Que le ciel
me prête vie, je le ferai grandir
en familier de ces chants : que la nuit
lui soit joie. Adieu encore une fois
doux rossignol ! Une fois encore , chers amis , adieu !
Coleridge -Traduction de DOMINIQUE MEENS P.191 À 195 DE MES LANGUE OCELLES (éd.P.O.L)
:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::
The Nightingale
A Conversation Poem, April, 1798
No cloud, no relique of the sunken day
Distinguishes the West, no long thin slip
Of sullen light, no obscure trembling hues.
Come, we will rest on this old mossy bridge!
You see the glimmer of the stream beneath,
But hear no murmuring: it flows silently.
O'er its soft bed of verdure. All is still.
A balmy night! and though the stars be dim,
Yet let us think upon the vernal showers
That gladden the green earth, and we shall find
A pleasure in the dimness of the stars.
And hark! the Nightingale begins its song,
'Most musical, most melancholy' bird!
A melancholy bird? Oh! idle thought!
In Nature there is nothing melancholy.
—But some night-wandering man whose heart was pierced
With the remembrance of a grievous wrong,
Or slow distemper, or neglected love,
(And so, poor wretch! filled all things with himself,
And made all gentle sounds tell back the tale
Of his own sorrow) he, and such as he,
First named these notes a melancholy strain.
And many a poet echoes the conceit;
Poet who hath been building up the rhyme
When he had better far have stretched his limbs
Beside a brook in mossy forest-dell,
By sun or moon-light, to the influxes
Of shapes and sounds and shifting elements
Surrendering his whole spirit, of his song
And of his fame forgetful! so his fame
Should share in Nature's immortality,
A venerable thing! and so his song
Should make all Nature lovelier, and itself
Be loved like Nature! But 'twill not be so;
And youths and maidens most poetical,
Who lose the deepening twilights of the spring
In ball-rooms and hot theatres, they still
Full of meek sympathy must heave their sighs
O'er Philomela's pity-pleading strains.
———————————————
My Friend, and thou, our Sister! we have learnt
A different lore: we may not thus profane
Nature's sweet voices, always full of love
And joyance! 'Tis the merry Nightingale
That crowds and hurries, and precipitates
With fast thick warble his delicious notes,
As he were fearful that an April night
Would be too short for him to utter forth
His love-chant, and disburthen his full soul
Of all its music!
—————————
And I know a grove
Of large extent, hard by a castle huge,
Which the great lord inhabits not; and so
This grove is wild with tangling underwood,
And the trim walks are broken up, and grass,
Thin grass and king-cups grow within the paths.
But never elsewhere in one place I knew
So many nightingales; and far and near,
In wood and thicket, over the wide grove,
They answer and provoke each other's song,
With skirmish and capricious passagings,
And murmurs musical and swift jug jug,
And one low piping sound more sweet than all
Stirring the air with such a harmony,
That should you close your eyes, you might almost
Forget it was not day! On moonlight bushes,
Whose dewy leaflets are but half-disclosed,
You may perchance behold them on the twigs,
Their bright, bright eyes, their eyes both bright and full,
Glistening, while many a glow-worm in the shade
Lights up her love-torch.
A most gentle Maid,
Who dwelleth in her hospitable home
Hard by the castle, and at latest eve
(Even like a Lady vowed and dedicate
To something more than Nature in the grove)
Glides through the pathways; she knows all their notes,
That gentle Maid! and oft, a moment's space,
What time the moon was lost behind a cloud,
Hath heard a pause of silence; till the moon
Emerging, a hath awakened earth and sky
With one sensation, and those wakeful birds
Have all burst forth in choral minstrelsy,
As if some sudden gale had swept at once
A hundred airy harps! And she hath watched
Many a nightingale perch giddily
On blossomy twig still swinging from the breeze,
And to that motion tune his wanton song
Like tipsy Joy that reels with tossing head.
———————————————
Farewell! O Warbler! till tomorrow eve,
And you, my friends! farewell, a short farewell!
We have been loitering long and pleasantly,
And now for our dear homes.That strain again!
Full fain it would delay me! My dear babe,
Who, capable of no articulate sound,
Mars all things with his imitative lisp,
How he would place his hand beside his ear,
His little hand, the small forefinger up,
And bid us listen! And I deem it wise
To make him Nature's play-mate. He knows well
The evening-star; and once, when he awoke
In most distressful mood (some inward pain
Had made up that strange thing, an infant's dream)
I hurried with him to our orchard-plot,
And he beheld the moon, and, hushed at once,
Suspends his sobs, and laughs most silently,
While his fair eyes, that swam with undropped tears,
Did glitter in the yellow moon-beam! Well!
It is a father's tale: But if that Heaven
Should give me life, his childhood shall grow up
Familiar with these songs, that with the night
He may associate joy. Once more, farewell,
Sweet Nightingale! once more, my friends! farewell.