Écoutez Vittorio Gassman
L'infinito
Sempre caro mi fu’ quest’ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell’ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando: e mi sovvien l’eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Cosi’ tra questa
Immensità s’annega il pensier mio:
E il naufragar m’è dolce in questo mare.
(Peu d’italiens ignorent ce poème:on l’apprend à l’école, et il a été récité par les plus grands acteurs italiens.)
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Voilà un lien vers le site "Fine Stagione" avec un texte de Valéry Larbaud : ICI
L'INFINI
Toujours j’aimai cette hauteur déserte
Et cette haie qui du plus lointain horizon
Cache au regard une telle étendue.
Mais demeurant et contemplant j’invente
Des espaces interminables au-delà, de surhumains
Silences et une si profonde
Tranquillité que pour un peu se troublerait
Le coeur. Et percevant
Le vent qui passe dans ces feuilles - ce silence
Infini, je le vais comparant
A cette voix, et me souviens de l’éternel,
Des saisons qui sont mortes et de celle
Qui vit encore de sa rumeur. Ainsi
Dans tant d’immensité ma pensée sombre
Et m’abîmer m’est doux en cette mer.
Traduction Philippe Jaccottet
L'infini
Toujours j’aurai aimé ce coteau solitaire,
et cette haie qui dérobe au regard
une grande partie de l’extrême horizon.
Mais assis je contemple, et en pensée
me crée des espaces illimités
au-delà d’elle, des silences surhumains,
et une quiétude profonde.
Peu s’en faut qu’alors mon cœur ne s’effraie.
Et quand j’entends le vent bruire dans ces feuillages,
à cette proche voix le silence infini
je vais mesurant : et l’éternité
en moi advient, et les mortes saisons,
et celle-ci, vivante, et sa rumeur.
Dans cette immensité s’abîme ma pensée,
et naufrager m’est doux dans cette mer.
Traduction de Arlette Estève
Note de Michel Orcel sur ce poème
Composée à Recanati en hendécasyllabes (vers de onze syllabes) blancs (riches en enjambements audacieux), probablement au printemps 1819, la première des « idylles» - genre emprunté aux Grecs, mais que Leopardi détourne pour exprimer « des aventures historiques de son âme » - a suscité une bibliothèque de commentaires.
Pour une correcte lecture de ce chef-d'œuvre, il faut, certes, tenir compte de la réflexion matérialiste que Leopardi élabore dans les années suivantes sur l'inexistence objective de l'infini, ce qui disqualifie toute interprétation de cette idylle en termes d'anéantissement religieux, mais il convient d'isoler aussi le petit poème de cette réflexion intellectuelle, pour le laisser résonner dans son espace proprement poétique, c'est-à-dire créateur, ce qui exclut l'interprétation d'Ungaretti, croyant découvrir dans ces vers un processus d'ironie - erreur essentiellement issue d'une lecture fautive du verbe «fingere » (« mi fingo », v. 7), qui n'a pas le sens de « feindre », mais bien d' « inventer ", de « créer » (voir Zibaldone, p. 171 et 4358, ainsi que le commentaire de G. et D. De Robertis, qui rappellent à point nommé que pour Leopardi les illusions sont « substantielles »).
L'événement focal du poème est le surgissement de la voix du vent dans le silence des espaces infinis de l'imaginaire (créés grâce à la situation de clôture initiale) ; cette voix, comparée, mesurée, par l'esprit, au silence infini, transmue l'infini spatial (imaginaire) en « éternel» ; et c'est dans cette nouvelle « immensité» - qui relie l'Origine au « son» du présent, à travers les « saisons mortes» -, que la « pensée» du sujet s'abolit avec douceur, dans ce qui semble bien être une régression « numineuse »,
Pour une analyse détaillée, nous nous permettons de renvoyer à M. Orcel, Langue mortelle (chap. III : «Le son de l'infini »), Paris, 1987, où le processus en acte dans L'Infini est mis en perspective avec tout un matériau « acoustique» (entre autres l'évocation des théophanies bibliques dans le vent et l'expérience enfantine d'un son imaginaire « si doux qu'on ne peut en entendre de semblable en ce monde », in Discours d'un Italien sur la poésie romantique).
1. ... ce solitaire mont: une petite hauteur non loin du palais familial à Recanati. F. Flora a fait remarquer que l'expression «ermo colle ", apparemment si léopardienne, n'était pas inconnue des classiques italiens (Galeazzo di Tarsia, Annibal Caro).
4. Mais couché là: Leopardi écrit «sedendo ", c'est-à-dire « assis »,
8. Que le cœur ne défaille: on a souvent rapproché ce passage de la fameuse pensée de Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie », que Leopardi ne pouvait connaître. Sur bien des points, les rapports entre les deux penseurs sont impressionnants,bien que les conclusions de Leopardi soient radicalement matérialistes.
14. Immensité: Leopardi avait d'abord écrit « infintà ». On ne peut que signaler la parenté de ce passage avec un passage de la Vita d'Alfieri (<< e cosi’ fra quelle due immensità ... », 1, III, chap. IV).
15. Et dans ces eaux il m'est doux de sombrer: l'origine mystique de cette image est tout à fait probable (voir commentaire deM. Fubini).
(Texte extrait de Giacomo Leopardi - Chants / Canti -Edition bilingue -Traduction et notes de Michel Orcel- Editions Aubier 1987)
Commentaires 1
Bonjour,
Nous venons d'éditer "éloge des oiseaux" sous forme d'un beau livre au format 25x25 avec du papier au grammage de 150 grammes. La traduction et les commentaires sont de Pierre Présumey et le livre comporte les reproductions de 6 gouaches de Josiane Poquet, ex résidente à la villa Vélasquez (2ans).
Nous pensons que cet ouvrage peut intéresser vos membres.
Je peux envoyer une courte présentation sous PDF à une adresse que vous m'indiquerez.
Cordialement
Jean-Claude Millet