Association Encrier - Poésies

Rencontre avec divers poètes Rencontre avec Holderlin : Le Neckar

Écoutez Jean Topart

Le Neckar

Dans tes vallées mon cœur s’est éveillé

À la vie, tes vagues ont joué autour de moi,

Et des collines gracieuses, ô voyageur!

Qui te connaissent, il ne m’en est point d’étrangère.


L’air du ciel à leur cime bien des fois

A dénoué mes souffrances d’esclave; et dans le val,

Comme la vie dans la coupe joyeuse,

Brillait la vague d’argent bleu.


Les sources des montagnes dévalaient vers toi,

Avec elles mon cœur, et tu nous emmenais

Vers la tranquille majesté du Rhin, vers ses

Villes en bas et ses îles heureuses.


Le monde encor me semble beau, et mon regard

Avec désir fuit vers les charmes de la terre,

Le Pactole doré, et les rivages

De Smyrne, le bois d’Ilion. Et je voudrais souvent


Aussi aborder au Sounion, demander au chemin muet

Nouvelle de tes colonnes, Olympeion!

Avant la tempête et l’âge

Dans les décombres des temples d’Athènes


Et des statues des dieux à ton tour ne t’enfouissent,

Toi depuis si longtemps debout, fierté du monde

Qui n’est plus! Et vous belles îles

D’Ionie, où l’air marin


Rafraîchit les rives brûlantes et murmure

Dans les lauriers quand le soleil chauffe la vigne,

Où un automne d’or change en chansons

Les pleurs d’un peuple pauvre,


Quand sa grenade est mûre, que dans la nuit verte

Brille l’orange, et le lentisque

Sue sa résine, quand cymbale et tambourin

Sonnent pour les dédales de la danse.


Vers vous, îles! m’emportera peut-être un jour

Le dieu qui m’est propice, mais fidèle jusque là-bas,

La pensée m’accompagnera de mon Neckar

Avec ses prés charmants et les saules des rives.

Friedrich Hölderlin, « Der Neckar », traduction de Pierre-Jean Jouve- Anthologie bilingue de la poésie allemande, Paris, Gallimard, (Bibliothèque de la Pléiade), 1993