Association Encrier - Poésies

Rencontre avec divers poètes Rencontre avec Max Ernst : Hirondil hirondelle

Hirondil hirondelle 

Écoutez

Où jadis une maison s'élevait

s'élève maintenant une montagne

Où jadis une montagne s'élevait

s'élève maintenant une étoile


Les daffodils jouent un concert pour cor et orchestre

stridulent distinctement dans la nuit


forgent une tempête

éclatent de rire

et s'endorment dans les yeux des daffodelles


Le tout viole le néant

le tout distribue quelques planètes

le tout gobe des océans d'air frais

et disparaît à l'ouest

sans laisser trace


Et voilà ô noces chimiques

où jadis une étoile s'élevait

hirondil hirondelle s'élèvent maintenant

oiseau de nos jours

la promise du jour

Écoutez

Chaque fois que des titanils circulent dans la bâtisse nommée monde

qu'ils frappent le sol en cadence

et trépignent d'un rythme régulier et lent

qu'ils font frémir la terre et les mers préliminaires

que fait hirondil


  Il dessine une image du monde sur les parois vides du monde

il serre les poings il frappe son front

et chuchote d'un ton moqueur

ô titanils ô titanelles


  Les daffodils que font-ils

ils font le signe de l'accent circonflexe

ils troussent leurs robes et blablatent d'exquises sottises


  c'est alors que

mamamelle la surmère par pur caprice met au monde

un enfant de dix-neuf ans et dix-neuf mètres de haut


  elle le nomme mon fils immonde

acéphale itiphalle

surnain d'iniquité


  Mais voici que l'hiver s'installe dans l'image du monde

la neige se casse sur le sol avec fracas

les éclats se dissolvent en ténèbres

que le trépignement des titans se fait très audible

plein de taureau plein de rage plein de mais et changement

qu'ils font cliqueter leurs rapières avec emphase

dans l'estocade avec verges et tringles et tierces

jusqu'au fond dans les corps des vivants

quand en outre ils piquent le soleil par derrière et par devant

en plein dans le visage

de façon que vienne la félicité

la lune roule à tes pieds

ô titanils ô titanelles


  Et quand de nouveau ils versent leurs pluies et leurs briques

sur l'Europe

la Kafkasie et la Kafkamérique

au lieu de joyeux compagnons d'amour et réjouissances

et que leurs têtes comme il sied deviennent pierres

leurs disgressions jaune-moutarde très claires

leurs échines caniculaires


  et que leurs plumes deviennent dures comme cuir

que  fait hirondil

il saisit par leurs queues de rats les titans les durs à cuire

et d'un geste leur indique la route


  hirondelle que fait-elle

elle transporte le soyeux arc-en-ciel dans la rue à côté

l'y érige le renverse

puis elle revient à sa place et se jette à la renverse


  Les daffodils que font-ils

stupéfaits, mais pleins d'espérances

ils sacrifient aux titans un coq aveugle

ainsi que d'innombrables poules aveugles à cheveux d'argent

et comme ceci ne sert à rien

Comme rien ne sert à rien

ils laissent tomber des paroles pleines de chrysanthèmes


  Hirondil que fait-il

il met l'image du monde sous son bras

la soulève très haut la baisse très bas

il l'ouvre il la ferme

et la dépose sur la table du monde pour l'aimable contemplation


  Hirondelle où va-t-elle

hirondelle s'en va-t-à la fenêtre

installe une chaise devant la fenêtre

saisit la poignée retrouve l'équilibre

ouvre la fenêtre

le ciel n'est pas libre

elle hurle incompréhensiblement dans la nuit

et ferme la fenêtre

puis elle revient à sa place et se laisse choir sur son lit


  Hirondil où va-t-il

hirondil s'en va-t-à la porte

tire la clé de sa poche

ouvre la porte

contemple le néant

ferme l'oeil droit et la porte

ouvre sa bouche

compte ses dents

gobe le néant

compte les lunes

compte les saisons

hoche la tête et caresse son front


Alors les prunelles de ses yeux deviennent globes terrestres

il les prend entre le pouce et l'index

les roule sur la table

les fait éclater sur le sol

les lance en balles contre le mur

les rattrape au vol

et les fourre

avec la lune et la clé dans sa poche

et voilà ô noces chimiques

ô hirondil ô hirondelle


Où jadis s'élevait une étoile

une étoile maintenant se lève


Où jadis s'élevait une montagne

une montagne maintenant se lève


Où jadis s'élevait une maison

une maison maintenant se lève.

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En 1950, Max Ernst écrit en allemand le poème Das Schnabelmax ; Ce poème est traduit en français par Armand Robin ( voir à ce lien : http://encrier87.fr/textes/index.php?post/Rencontre-entre-Max-Ernst-et-Armand-Robin-%3A-L-oiseau-couple-3065).

En 1959, Max Ernst écrit en français le poème ci-dessus, version inspirée mais très différente de Das schnabel :

Armand Robin commente ci-dessous cet épisode :

"Qui change : le poète ou le bouvreuil ?


  Quand un poète chante un bouvreuil à l'âge de vingt ans, qu'il recommence à le chanter dix ou vingt ans après, il ne s'agit plus du même bouvreuil, parce qu'il ne s'agit plus du même poète; c'est encore plus vrai si le poète est aussi un peintre qui a VU le bouvreuil.


  Et c'est encore plus vrai, métaphysiquement, dans le cas de Max Ernst: il se conçut, se dessina « oiseau-max », dans les deux poèmes que nous publions ci-contre; mais en s'opposant d'un « oiseau-max» à l'autre.


  Max Ernst se fit « oiseau-max », par poésie et peinture, il y a environ une dizaine d'années, d'une façon et sur un ton austères, graves, presque tragiques. Plus exactement encore, il voulut être strictement, littéralement, « oiseau-max ». Telle est l'impression essentielle que laissent le texte du poème en langue allemande: « Das Schnabelmax» et les dessins illustrant ce poème.


  (Dans le cas de ce poème, il semble perceptible que le chant précéda, détermina les dessins - que même le poème fut l'élément structurant de ces dessins si « architecturés »). Une dizaine d'années plus tard, vers le mois de mai 1959, il se chante à nouveau, se peint à nouveau « oiseau-max » ; mais cette fois, il s'amuse avec les mots et les sonorités, bellement distrait du tragique d'autrefois. « L'oiseau-max » n'est plus du tout le stryge dont il illustrait dix ans auparavant son austère poème.


Qui décidera si Max Ernst eut raison d'être tragiquement beau vers 1950 et bellement amusé en 1959 ?


Il ne faut pas décider; il est suffisamment établi qu'en matière de poésie, de musique, d'arts plastiques, l'indétermination permanente mais précise est la plus saine source d'inspiration: « l'oiseau-max 1950» se voulait « oiseau-max» glabre; « l'oiseau-max 1959 » se veut « oiseau-max » délivré du stryge, du moins momentanément. « L'oiseau-max» 1959 détruit « l'oiseau-max» 1950.


  Nos lecteurs trouveront ici, côte à côte, le texte allemand du poème de 1950... et le texte français qu'en refit Max Ernst en ce printemps 1959. Ils trouveront aussi notre version en français du texte de 1950 ; nous avons fait tout notre possible (sans penser à l'auteur, en ne pensant qu'au texte!) pour le restituer en sa rudesse première.


Cas très curieux de « traduction » poétique, c'est Max Ernst lui-même, par son entourage d'amis, qui me fit savoir qu'il aimerait bien que je m'occupe de son poème d'il y a dix ans; l'austérité, la sobre faroucheté de ce texte me frappèrent. Quelques mois plus tard, lui, de son côté, refit son poème pour le mettre en français. Et il fit de son poème original un tout autre poème, léger, léger, léger, sans vampire ou stryge!


  Il ne resterait plus qu'à mettre en allemand du Max Ernst de 1950 cette joliette ariette de 1959.


  Quel est le poète qui connaît sa poésie?


  Armand Robin

Cet article de Robin figure dans Ecrits oubliés I Essais critiques de Françoise Morvan, éd UBACS, 1986..