Viatique
La nuit , on se connaît par la voix , par la
respiration , par une moire tendresse des bras ;
on se connaît lentement , comme si on ne s’était
jamais rencontré , ni échangé les mots
étranges d’un adieu ;
on se connaît par le désespoir de l’ignorance , qui
aux uns et aux autres dérobe le sentiment , les laissant
livrés à la sécheresse d’un reflet .
Venez : de ce quai que l’hiver a dévasté ,
que les bateaux ne cherchent plus , ni les oiseaux , ni
la plus folle des prostituées d’autrefois ; et
apportez un refuge d’ombres sur
vos lèvres , une contagion de l’âme à la fatigue
des corps , le poids d’une lueur dans l’obscurité
des yeux .
Communiez avec moi dans le désordre de la vie ,
dans l’indécision des chemins ,
dans la blessure d’un silence où s’écoulent ,
comme les images d’un rêve ,
un rire aimé , jadis , et
ton visage sans âge .
Nuno Judice-Un chant dans l'épaisseur du temps traduit du portugais par Michel Chandeigne- Poésie/Gallimard No 306 -page46