Développé :
Autour de la piscine tout le monde danse. Toutes les bouches s’égosillent dans un chant d’anniversaire, avant que le groupe à l’unisson plonge dans l’eau. Bombes, plats, sauts de l’ange, chacun son style, mais toi, tu t’élances dans un plongeon athlétique afin de traverser le bassin, le ventre à ras du fond, en apnée. Ce fut là ton second choc.
Le premier remonte à ta tendre enfance. Dans la piscine municipale de Nuits-Saint-George, une grande volée de petits moineaux piaillaient, les pattes dans l’eau, des brassards aux ailes. L’école maternelle animait une fois par semaine une après-midi d’initiation à la nage, à l’aide de parcours aquatiques. Au bord de la piscine, nous grelotions compressés par nos ceintures de flotteurs et nos bonnets de bains. Un à un nous évoluions le long de parcours différents. Tu aimais ces après-midi, les jeux, l’eau, mais il a suffit d’une fois, où tu restas bloqué sous l’eau au passage d’un obstacle, pour que la panique envahisse tout ton corps et imprègne ta mémoire. Une sensation de mort imminente électrocutait tout ton squelette. Ton système nerveux se débattait dans tous les sens. Quelqu’un t’a extirpé de là en un seul geste, seulement, la peur t’a aussi maintenue pour une longue période.
Ta mère a tenté patiemment de t’apprendre à nager. Combien de fois a-t-elle essayée? Combien de cours as-tu suivi ? Tu aimais la piscine, accroché au rebord et faire des sauts avec une frite. La nage paraissait impossible et tu te sentais en sécurité uniquement quand tu avais pied.
Un jour, ta mère essayait dans le calme de faire des exercices avec toi pour que tu apprivoises cet élément. Tu te souviens qu’elle te murmurait des fumées d’encens et des lumières tamisées. Vous étiez deux au sein du petit bassin, elle debout, l’eau aux épaules et les bras tendus, toi allongé sur le dos respirant à la surface. Ton corps se crispait au fur et à mesure, tu ne te sentais pas à l’aise, tu essayais désormais une brasse qui coulait tes espoirs et remontait tes peurs à la surface. Soudain tu craques. Un hurlement sort et tu te débats pour sortir à tout prix. Tu frappes l’eau pour la fuir. Tu pestes ta mère pour qu’elle comprenne que tu n’y arrives pas. La pointe de tes pieds frôle le fond de la partie de la piscine où tu peux marcher. Tes bras s’élancent dans l’air et claquent la surface avec fureur, tes jambes assènent des coups à la matière mouvante, tes pieds tourbillonnent. Tu avances, tu cours, tu nages. Arrivé dans une zone où tu as complètement pied, l’eau au niveau de tes épaules, tu te retournes les yeux écarquillés et ta mère te regarde avec un sourire solaire. « T’as nagé! Bravo! » s’écrit-elle, et tu ris.
Le fond rugueux caressait ton ventre. Tu te sentais comme un requin, lent sur le sable blanc, guettant bruits et mouvements. Tu voyais les jambes joyeuses de tes amis faire des sauts de cabris dans le bassin. Tu entendais leurs rires en trompette arriver en sourdine à tes oreilles. Tu sentais l’air dans tes poumons et le temps t’englober. Sans que tu le visses venir, une pensée fila dans ton esprit. « Si je prends une grande respiration et que je me noie, serais-je de nouveau avec maman? Est-ce ici le portail entre nos deux mondes? » L’électricité longea ta colonne vertébrale, tes bras frappèrent le fond. En une seconde tu repris ta respiration à la surface. Les chants colorés de l’été t’entouraient et couvraient ton souffle en panique.
Il a fallu un an avant que tu retrouves cette peur.
Ta copine va passer son deuxième niveau de plongée. Tu ne lui as pas encore dit que tu n’arrives plus à rester quelques secondes le nez sous l’eau dans une baignoire. Avoir le jet de la douche en plein visage te secoue par la gêne de ne plus respirer, et loin aussi de lui dire que tu as peur d’être enrhumé, car les narines bouchées provoquent en toi une panique enfantine diffusant dans ton cerveau la croyance que tu vas mourir. Tu enfouies tout. Tu ne veux certainement pas être un adulte aux peurs d’enfants.
Mais ta copine te parle de snorkeling, Palme Masque Tuba, et tu as envie d’essayer pour faire comme elle, être comme cette femme que tu aimes, et tu achètes du matériel.
À la première occasion sur une plage méditerranéenne, vous vous éloignez du bord. Après une vingtaine de mètres, vous nagez en surplace pour enfiler votre masque et votre tuba. Tu rencontres de premières difficultés. Tu es gauche et la double action de stagner dans l’eau plus se préparer s’avère moins facile que prévue. Ta copine est prête, elle commence à plonger son regard sous la surface. Tu galères, tu essayes, l’eau rentre partout, tu te fatigues, tu crois manquer d’air, tu paniques. Tu arrêtes. Une lente brasse te rapproche du sable brulant. Tes pieds se reposent de nouveau sur le fond. Tu observes amorphe ta copine au loin nager comme un dauphin. Cette plage est infinie. L’horizon à gauche disparait dans un mirage de chaleur, la côte d’améthyste se distingue légèrement. À droite, la même autoroute sableuse débouche cette fois-ci sur le massif des Albert, montagnes sages allongées sur la frontière entre la catalogne française et espagnole. Tu ne veux pas rester sur un échec ici, tu t’avances doucement. L’eau arrive à tes épaules. Avec des gestes lents tu ajustes ton masque et ton tuba. Tu t’habitues à ce matériel sur ta peau et à ton souffle dans le plastique. Pieds sur le tapis de coquillages, tes yeux traversent la surface pour découvrir ce monde en-dessous. La respiration par la bouche te dérange, tu as du mal. Avec le temps, tes poumons se relaxent et ton coeur s’apaise. La panique se dissout et tu es de nouveau là. Maintenant tu peux voir les zébrures sur le fond sableux, les rayons stroboscopiques du soleil, les particules en suspension et toutes ces couleurs liquides. Tu es bien, pas le souhait de bouger. Tu imagines que tu observes à des récifs gigantesques, des massifs gargantuesques. Quelque chose se passe, tu te sens même mieux ici qu’en-dehors.
Cette expérience t’a procuré la motivation folle de recommencer, de franchir une nouvelle étape. Sur une autre plage, tu pars du même point, les pieds sur le fond. Mais cette fois ci, tu laisses tes bras flottés et les vaguelettes articulent le haut de ton corps. Tes jambes se décrispent et acceptent de plus en plus la danse du courant. Tu épouses désormais la surface et la mer te guide. Respiration lente. Yeux en extase face à la vue de la faune maritime et des nouveaux paysages aquatiques. La peau cajolée par les flux évasifs de l’eau. Tu te sentais ici mieux que n’importe où depuis des années. Tu es incapable de penser au temps. Tu flottes le long des rochers de cette crique, tout ton être vit de cet instant d’émerveillement, de ce moment d’exaltation. Une euphorie sentimentale nait de cette fusion avec ton environnement. Une béatitude orgasmique embrasse tous tes sens. Le soleil et la mer papillonnent à travers tes tissus, tes os, tes pensées.
Peut-être est-ce ici ton premier choc aquatique positif.
Commentaires 1
Je suis époustouflée par la façon dont tu as développé ton texte que tu nous a offert. Tu nages avec les mots comme un poisson dans l'eau.
J'observe la scène et je me tiens à l'écart. Je ne veux pas être éclaboussée, je reste en apnée car je suis hydrophobe.
Pas de soucis, j'ai survécu.
Merci.
Bernadette ????