Quelques mois plutôt, une spirale tournaillait dans ma poitrine.
Je me souviens d’une peau de pêche sur la ligne de l’océan.
Une dizaine de golgoths pétroliers paresseux stagnaient, éparpillés au large.
Je miroitais ce nuage orange assoupi sur la mer d’huile.
Derrière moi, les voix du port, marins et moteurs, se mélangeaient au brouhaha lointain de Las Palmas. Je m’imprégnais une dernière fois de ce lieu d’errance, de recherche, de
perte, ou d’accomplissement.
Mon instinct comme bâton sourcier, je reprenais la route.
À la même heure, je me dirige aujourd’hui vers la forêt et la rivière qui y coule.
Le jour infuse ses dernières couleurs dans le ciel.
Une flamme rouge embrasse les lèvres nuageuses de l’horizon.
Mes yeux batifolent parmi les branches. Ils parcourent la mousse, sautent à cloche pied
sur les rochers sortant leurs têtes de l’eau, avant de se laisser embarquer par le courant
de la Glane. Je survole la surface au rythme du rouge-gorge, et quand celui-ci s’arrête de
chanter, je sais qu’à présent, j’entre dans la forêt bleue.
La Lune hume une brume et commence à conter ses histoires au sous-bois.
La rivière souffle une berceuse pour endormir les berges.
Sa douce mélopée coule dans mes veines.
Les bras des arbres s’engourdissent, les fleurs baillent, la flore somnole.
Dans un frisson mes pieds regagnent leur gourmandise des chemins et, à pas de loup, je circule dans les espaces pervenche.
En apesanteur dans la forêt bleue,
où les ombres jouent la vie,
où les souches se confient,
où la nuit se meut au bout des branches, je quitte peu à peu le sol.
La rivière se verse goutte à goutte dans mes pensées, je vogue de mirages en muages.
Je pars apprivoiser cette confusion qui ne me quitte pas, peu importe où je la fuis.
Je traverse les repas de famille, je vois ces gens ivres, la gueule ouverte, rire, et leurs couronnes dentaires briller. Je revis l’ambiance joyeuse de déni à des tables où une chaise demeure vide à jamais. Je me revois, seul entre deux cours au lycée, au milieu d’un stade de foot vide, dégager ma jugulaire pour que l’alcool puisse y planter ses canines douces. Je tords les amours perdus, j’embrasse les hontes revenues. J’affronte les souvenirs dans l’aigreur, j’épouse les peurs pour le pire.
Léger frémissement. Dans ma main, je sens des minuscules doigts se glisser. Une toute petite main d’enfant m’empoigne. C’est moi tout minot, mes grandes boucles et mon petit bout de nez, un hamac entre les deux oreilles, un sourire baume au cœur, une banane contre toute épreuve. Je me demande d’une voix fluette qui nous sommes devenu, alors je m’explique d’un ton grave qui nous sommes maintenant. Je me raconte tout ce qui a changé, tous les choix, les joies et blessures, les doutes et les aventures.
Je balbutie, quelque chose me foudroie dans cet échange… C’est que mon petit moi ne me juge pas. Je vois dans son regard noisette une douceur disparue envers moi; je crois bien qu’il m’aime malgré tout… Il gazouille, il est enthousiaste de voir qu’il n’a plus peur d’être dans cette forêt bleue. Et puis, tout ce qu’il veut vraiment, c’est un éclair à la vanille.
Des bonds de chevreuil sur le tapis de feuilles mortes sonnent le gong de mon voyage.
Petits clapotis de l’eau et calme brise autour de moi.
Je respire.
Je me tourne, seul dans les bois lavande. La Lune pour m’éclairer, je regagne la ville.
Un pied devant l’autre, je ressens peu à peu le poids de mon corps, je reviens doucement
de cette rencontre hors du temps.
Je retrouve les routes de bitume désertes,
les bancs vides,
les arbres solitaires sur les trottoirs,
les lampadaires à tête orange.
Quelque chose a changé.
Je marche en paix dans les fumées de cheminée lancinantes.
L’odeur de feu de bois m’accompagne jusqu’au bout de la rue.
Commentaires 2
Voyage entre géants et cours d'eau local... Rêveries...Imagination et souvenirs à venir...
Se perdre, sans le savoir, et retrouver la vie toute proche...`
DANIEL
Texte écrit avec intelligence aisance et clarté.Tout coule fluide comme la mélopée dans tes veines.C.est alerte J.aime.Bravo et ne change rien