LES MASQUES POUR CACHER LA VIE
Délicatement, je sors de son écrin de papier de soie rose le cadeau que Isabelle m’offre et mon sourire se fige laissant place au désarroi .
Comment mon amie a-t-elle pu penser que cet objet me plairait? Est-il possible d' être amies et si mal se connaître?
Le précieux bol du porcelainier Bernardaud attend que je le prenne délicatement entre mes mains mais le rejet pour cet objet m’empêche .
Native du Limousin, j’aime la porcelaine , en particulier celle de Bernardaud qui magnifie comme personne notre terre le kaolin.
Le bol est décoré à l’or fin de cicatrices artificielles fabriquées selon une méthode japonaise ancestrale.
Le kintsugi est un art du16e siècle qui consiste à restaurer les céramiques brisées en les sublimant avec de la poudre d’or. La technique vise à souligner les fissures en les
rendant esthétiques au lieu de les masquer: toute une philosophie de vie!
Mes pensées s’envolent d’abord vers Peggy dont l’opération à coeur ouvert à 30 ans avait laissé une longue cicatrice qu’elle trouvait laide au point de ne jamais porter de décolleté . Et cette jeune femme dans le métro dont le regard charbonneux totalement noyé sous des traits de khôl , que cherchait-elle à cacher?
A cet instant, j’ai besoin de voir la main de Peggy déboutonner un peu son chemisier, j’ai besoin de voir l’inconnue enlever son masque noir pour libérer son regard
Il me vient l’envie folle mais insistante de demander à Bernardaud d’échanger son bol fardé sans autre raison que d’être dans l’air du temps contre une réparation, une poétisation du bol ébréché de mon enfance, qui m’a accompagnée longtemps et qui porte en mémoire larmes, silence et secrets.
Après je le transmettrai à ma petite-fille
Quant à Isabelle, je vais lui lire ce papier: si c’est l’amie que je crois, notre amitié se renforcera, sinon...