I
Le printemps accélère. On est encore loin de mai,
Cependant, toujours en retard, le platane s'y met
Et, du marronnier, du tilleul, entend suivre l'exemple.
De revenir demain pour longtemps. Mais on le contemple
comme si le pressentiment sombre nous alarmait
Le soleil, rayonnant sur la ville inerte, promet
De manquer à ce rendez-vous
À l'horizon plus ample,
On croirait presque discerner, par-delà les coteaux
De Saint-Cloud, des feux clignotants : serait-ce des bateaux,
ou bien une Arche de Noé cabotant sur les côtes
Pour sauver au moins les humains d'Honfleur et de Cabourg ?
Bientôt Pâques. Reverrons-nous beaucoup de Pentecôtes ?
Quelles cloches, dans l'air plus pur, couvriront le tambour
Voilà qui sourdement bat dans la cage de nos côtes,
Pauvres oiseaux ?
II
Ils sont déconfinés, les arbres, les oiseaux,
L'Air même qui respire et caresse les eaux
De la Seine et des lacs où revit la grenouille !
Et le Soleil levant lui-même s'agenouille,
À Versailles, devant ce qu'il va découvrir,
Entre les ponts où l'on a cessé de courir,
Du Louvre à Bagnolet, de Sceaux à Notre-Dame,
À travers les chevaux lisses du Macadam,
Sur le gros vieux pavé que le temps a poli
Et qu'ombrage à présent la fleur du pissenlit
On pourrait désormais aller à l'aveuglette
Sans craindre les pétards d'une motocyclette
Ou le surgissement muet d'un autobus
Certes, en même temps, se promène un morbus
Inconnu sur lequel le savant vaticine
Sans pouvoir le freiner dans sa course assassine
Il ne fait pas plus cas de l'homme que du rat
Et peut-être à mon tour me contaminera :
L'âge m'y prédispose, et ma dernière frasque
Sera de circuler dans la ville sans masque :
Je lui ferai l'effet d'un clown ou d'un bandit
Cependant le printemps d'heure en heure bondit,
Mais à la paresseuse et sûr de sa puissance.
Et chaque arbre selon les mœurs de son essence,
Comme si maintenant, honteux, on le fuyait,
Fête précocement le quatorze juillet
Sans flonflons de sa renaissance.
Jacqueqs Réda-Poème inédit paru en juillet 2020 dans Marianne