Encrier 87

Textes de 2025 Texte de Daniel écrit pour la lecture-rencontre du 3 avril : Deux amies ... une vie ...

Deux amies... une vie…

"Les mots coulent en moi comme le sang dans mes veines..." cette inductrice m'a autorisé à écrire l'histoire qui va suivre…

Leur futur se décida sans elles, et sans qu'elles n'en sachent rien. La vie leur proposerait une rencontre décisive, et leur offrir une belle et heureuse vie c o m m u n e . . .

Deux filles, du même âge, 15 ans. Une jeune Normande vivant à Villers-Bocage, et une jeune Russe de St Pétersbourg. Leurs journées devenaient monotones et leur pesaient, surtout depuis l'arrivée de leur nubilité. A l'insu de la jeune Russe un événement décida de son avenir. Son père, le général-baron Rostopchine était affecté en France, à l'ambassade de Russie, pour assurer les bonnes relations entre les deux puissances mises à mal par les campagnes de l'Ogre dans toute l'Europe. En fait le général avait pour mission de tout savoir sur l'artillerie française et d'en référer plus haut. Il devint ami avec son homologue de l'état-major. Au bout de deux ans l'épouse du général-baron fit valoir sa fatigue de la vie parisienne et, surtout, de l'absence de la mer, comme celle qui baigne la capitale de l’Empire…

Bien conseillé le baron choisit une maison noble, récemment libérée par une famille suite à un mariage et un décès. Très proche de la Manche, à Ouistreham. Cela posa la question de l'intégration de sa fille dans une nouvelle école française afin de parfaire sa pratique de notre si belle langue…

La lointaine descendante des fougueux "northmen" était de bonne taille sans être grande, les cheveux forts longs et bruns doré, les yeux gris comme l'horizon de la Manche. Un heureux hasard fit qu'elle fut inscrite dans cette école réputée, réservée aux jeunes filles de familles aisées. Hasard, suivit d'un autre, devait réunir les deux héritières car le général-baron Rostopchine, bien conseillé, choisit le même établissement, à Caen, le pensionnat de Ste Marie- des-Vierges situé non-loin de l'Abbaye-aux-Hommes, proximité amusante... Le destin, chaleureux, devait réunir la Normande et la Pétersbourgeoise pour partager la même chambre, garnie de deux lits. Elles avaient quatre années devant elles pour obtenir ce que leurs familles attendaient : devenir des jeunes femmes, instruites, cultivées et. bonnes à marier car bien dotées... La Slave dominait d'une tête sa camarade de chambrée, les cheveux tout aussi longs et très blonds, le bleu de la Baltique dans le regard. Chaque année, en été, l'école Ste-Marie-des-Vierges fermait ses portes. Dès la première année débuta un échange entre les familles pour accueillir la meilleure amie de leur fille. A leur retour elles virent avec plaisir que la vénérable religieuse de la première chambre à leur étage, était partie en retraite qq-part... Elle était remplacée par deux jeunes novices dont elles devinrent amies, et même complices pour le partage des suppléments de dessert venus, nuitamment, de la cuisine . . .

Très studieuses, s'entraidant en tout, elles obtenaient notes et classements les meilleurs. Les deux familles, du baron Rostopchine et du notaire Flaubert, s'en félicitaient . . .

Quinze ans, seize ans, dix sept ans, dix huit ans, ces quatre années permirent à la Russe de maitriser notre langue ce que n'obtint pas son amie: certes elle ouissait le russe et le parlait mais le lisait mal. Fusionnelles ces deux jeunes femmes ne se quittait jamais et lorsque les troubles européens investirent leur siècle, la jeune Slave dut regagner sa famille à St-Pétersbourg; son amie ne quitta pas Villers-Bocages et fut contrainte d'accepter un mariage ennuyeux avec un poussiéreux clerc de l'étude notariale paternelle. Elle le trompa, très vite, sans vergogne aucune. La grande Russe se maria, divorça avec fracas et connut plusieurs amants mais jamais l'Amour...Celui dont elles rêvèrent tant dans leurs jeunes années…

Elles s'écrivirent beaucoup, se confiant en tout, et vécurent, ensemble et à distance, une vie de souvenirs, celles de leurs quatre années de vie commune, de leurs jeunesses, heureuses et complices... Elles ne rataient jamais l'office du dimanche pour la communion. Elles amusaient leurs camarades en traversant la chapelle bouches ouvertes et langues pendantes. Quand l'annonce de la confession était connue elles en riaient à l'avance. Elles ne rataient jamais la venue du cacochyme moine franciscain, qui vivait tout près, à L'Abbaye-aux- hommes. On ne peut mieux se le représenter qu'en revoyant Ubertin de Casale dans le nom de la Rose. Tellement sourd qu'elles devaient prononcer la mot "péché" souvent et à voix forte. Le confesseur, ne relevant que ce mot, leur donnait trois pater et deux ave pour pénitence, après avoir demandé quand et combien ? Leurs réponses étaient simples: "deux fois :hier soir et ce matin !". Elles s'en amusaient pendant des jours, jusqu'à la prochaine confession . . . La séparation intervint juste avant leurs dix-huit ans. Ce fut une brisure très douloureuse. La Normande et la Slave firent le serment de ne pas s'oublier. Quelques devaient être les contraintes imposées par leur société respective. Elles tinrent ce serment jusqu'à la fin, sans faillir . . .

Arriva ce jour fatal où leurs deux lettres ne rencontrèrent que le vide…

Un néant immense, infranchissable les absorba…

La Normande écrivait à madame Anna Karénine…

La Russe, elle, à Madame Emma Bovary... @

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