Encrier 87

Textes de Yvos Texte de Yvos du 21 novembre : Aspirateur

Aspirateur

J’ai toujours ressenti que le meilleur moment du ménage, c’est quand on appuie sur le bouton de rappel du fil électrique de l’aspirateur. Remisé au placard avec ses accessoires, à la niche, « pas bouger », une semaine durant, il arrête enfin d’exciter le rejet viscéral que j’ai de son usage.

Oui, car cet outil, symbolisant la tâche ménagère qui me rebute tant, m’apparait comme un monstre sans âme, un appareil repoussant dont j’évite le contact en le camouflant dans un antre où se concentre toute l’étendue du mystère inquiétant de sa répulsion.

Cet engin véloce et bruyant, de marque Dyson, garanti à vie pièces et main d’œuvre, n’est pour moi qu’une machine de forçat qui la contemplerait comme l’objet de son malheur. L’instrument calamiteux, qu’un ouvrier obnubilé par la pensée de l’imminence d’une tache insurmontable, tenterait de remiser dans les territoires de l’oubli.

Et pourtant, à chaque renouvellement des nécessités de nettoyage, je sens l’œil du voyant clignotant de Dyson m’invectiver depuis sa tombe punitive. Il me culpabilise, il me sollicite à nouveau pour partir en manœuvre à l’assaut de l’ennemi crasseux qui appelle son appétit.

Il m’entraîne alors en un ballet endiablé dans les contrées obscures, peuplées d’improbables poussières en étoiles, filantes jusqu’à sa gueule inexpressive, qu’un cou de girafe désarticule encore. Je me sens emporté dans les circonvolutions d’une furieuse sarabande, à la chasse aux moutons qui virevoltent comme si un loup rodait dans la bergerie.

C’est une pêche électrique à la saleté. Elle se réfugie dans des abris de fortune tandis que s’abat sur elle un hiver nucléaire. C’est une corrida menée tambour battant par une armée de matadors. Ils sont illuminés de la liesse du populaire et enflammés par les « ollé » d’une harde de ténors, abrutis de voyoucrassie agressive. C’est une tauromachie envers un ruminant aux pieds d’argile, par un robocop en habit de lumière, pour débusquer les monceaux de cristaux terraqués dans les moindres recoins de l’arène de mon domicile.

Je lutte avec une arme de destruction massive contres les peuplades d’envahisseurs qui occupent mon lieu de vie. Et chaque fois, je suis effrayé par l’ampleur de la saleté organique que l’estomac à roulette devra ingurgiter dans son sac à malices.

Et je dois, à chaque nouvelle tentative, me motiver d’avantage pour y mettre du mien et siffler à la niche de Dyson que nous retournons à la chasse à l’infamie de la crasse, à la méchanceté de la vilaine salissure, à la bassesse obscène des bavures du temps.

Rien n’y fait ; ni ma lente et réfléchie préparation mentale pour mettre en conformité l’éprouvante galère du ménage avec l’obligation examinée d’y adjoindre une motivation de nécessité ; ni l’enjeu marital qui devrait finir par me faire admettre qu’une participation dans le partage des taches ménagères coule de source et va de soi.

D’ailleurs, je dois signaler que, à l’instar de moi-même qui n’est pas le seul occupant du théâtre où cette cavalcade hebdomadaire se déroule, mon Dyson cultive aussi l’association de malfaiteurs avec quelques douteux complices qui participent aussi à mes effrois de canard (W.C. !). Ils se nomment serpillière, balai-brosse, seau bi-bac ou Javel plus, et j’en passe et j’en repasse par ci et par là, dans les coins et les recoins, dans les plinthes et les escaliers, tout partout où ça peut vouloir se laisser débusquer avec mon limier en laisse.

Et nous en traquons avec maladresse et sans conviction des toiles et des poils en tout genre agglutinés en rebut, des tas de crasse planquées dans des encoignures improbables et des souillures maculant le sol.

C’est ainsi que resurgissent en abondance les angoisses qui me font redouter l’usage de cet obscur objet indigent d’aspiration qui pourtant nourrit mon inspiration.

Commentaires 2

  • anonyme

    Indigent, inexpressif, repoussant ... et puis quoi encore ! Ah oui, il me prend pour Caïn

    Qu'est-ce que je lui ai fait pour qu'il me déteste autant?

    Moi, je fais mon job parfaitement ! Jamais content....

    Je sens qu'un jour ou l'autre , il va me maltraiter.

    Je vais contacter sans tarder la SPA(Société Protectrice des Aspirateurs)

    anonyme

  • Lilah

    Rire ou pleurer à à la lecture de ce bel écrit ?
    En tout cas , merci de nous l'avoir offert .

    "Etre comme il faut", a-t-on le choix ou bien ensemble , positionner les curseurs des Dyson en tous genres à leur JUSTE PLACE et résister ensemble ( répétition ,tant pis ) à leur toute-puissance.

    Lilah

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