Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Henri Thomas Rencontre avec Henri Thomas(1912-1993) : Je cherche et j'ai trouvé...

Je cherche et j’ai trouvé des poèmes au bord de la mer, comme on cherche des fragments de bois ou de pierre étonnamment travaillés et polis par les flots.

Ces poèmes résultent eux aussi du long travail, du long séjour de quelque chose dont l’origine, la nature première m’échappent (comme je ne saurais dire d’où viennent ce galet, ce poisson de bois lourd), dans un milieu laborieux qui est moi-même - conscience ou inconscient continuellement en mouvement.

Les plus gros blocs d’expérience doivent à la longue s’y réduire en formes nécessaires et singulières, complices des yeux (du lecteur).

Il m’est arrivé de retrouver la poésie, après des mois de silence.

Mais, écrivant de nouveau des poèmes, avec quoi étais-je de nouveau en contact et communication, en dehors d’un certain langage imagé et rythmique ?

Le rythme ainsi que l’apparition des images sont liés à un certain état du corps (alors que le raisonnement en est relativement indépendant). Chez moi cet état est certainement celui de la santé, - celui où le corps tend à ne plus m’être présent que comme l’œil est présent

entre ce que je vois et... moi-même. On dirait que le corps cesse d’être, au profit de tout ce qu’il révèle. Il est l’unique révélateur, et à ces moments, uniquement révélateur, ne revendiquant pas d’autre rôle.


***

Marchant sur la route, je me faisais une canne d’une branche ou d’un grand roseau-bambou.

Je frappais le sol sec, suivant un rythme qui surgissait spontanément et s’imposait le même durant toute une promenade. Le lendemain surgissait un autre rythme, également spontané et unique, et j’aurais cherché en vain à retrouver celui de la veille.

Et ainsi de suite. Il est évident que chacun de ces rythmes était lié à l’état de mon corps à ce moment - à la rapidité, l’amplitude plus ou moins grande du pas, dictée par la force momentanée.

Ces rythmes apparaissaient exactement comme celui du poème qu’il m’arrivait. d’écrire au cours même de cette marche. Son mètre, sa cadence, étaient tout aussi spontanés, et tout aussi impossibles à retrouver le lendemain.

Le langage intervenant (comme la musique, j’imagine, aurait pu intervenir chez un compositeur), il me restait un poème, moulage de l’instant.

Poésies, Gallimard, 1970