Je suis habité par les morts : nourri, lavé , soigné par les morts. Les morts à moi sont heureux et placides . Leurs ombres s’écoulent lentement dans ma durée creuse et me bercent de leurs molles rengaines . J’aime écouter en dormant leurs appels sourds-muets . Que pourrais-je pour aider tous ces morts qui m’habitent, Je leur suis reconnaissant d’avoir choisi mon cercueil ambulant pour demeure . Mais ils se contentent de si peu … Ils sont faits pour donner . En souriant , ils m’offrent leurs vieilles peurs, leurs vieux coeurs, leur vieux sang . Ils pansent mes vieilles plaies . Ils entretiennent mes oublis . Ils me comblent de lacunes . Que ferais-je sans leurs yeux perce-visages , sans leurs bouches perce-paroles ?
Le plus sombre , le plus silencieux d’entre mes morts est mon Mort protège-vie . C’est Lui qui veille , écrit , dessine et peint à ma place . Je lui sers d’escalier, d’atelier , de chevalet de valet, son attente imprègne toute ma personne . Son ombre est immense et timide .
Comment contenir tant de morts sans éclater de patience ? Et qu’attendent-ils de moi, eux, qui m’habitent, qui me comblent et me gâtent? … Mon crépuscule ! Me traverser , me vider de mes lieux !
Propre, balayé par la peur, mort bien portant moi-même, je m’en irai avec eux, loin dans le temps, habiter un poète impossible à venir.