Écoutez Robert Werner
Écoutez Sébastien Thévenet
Première soirée
Elle était fort déshabillée,
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur une grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
– Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, mouche ou rosier.
– Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal !
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu en finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !...
« Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…
Elle était fort déshabillée,
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud-pages 847-848 dans Oeuvre-vie, édition du Centenaire établie par Alain Borer, édition arléa