Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Apollinaire Rencontre avec Apollinaire : La chanson du Mal-Aimé II

Écoutez Jean Negroni

Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses


Regret des yeux de la putain

Et belle comme une panthère

Amour nos baisers florentins

Avaient une saveur amère

Qui a rebuté nos destins


Ses regards laissaient une traîne

D'étoiles dans les soirs tremblants

Dans ses yeux nageaient les sirènes

Et nos baisers mordus sanglants

Faisaient pleurer nos fées marraines


Mais en vérité je l'attends

Avec mon coeur avec mon âme

Et sur le pont des Reviens-t'en

Si jamais revient cette femme

Je lui dirai Je suis content


Mon coeur et ma tête se vident

Tout le ciel s'écoule par eux

O mes tonneaux des Danaïdes

Comment faire pour être heureux

Comme un petit enfant candide


Je ne veux jamais l'oublier

Ma colombe ma blanche rade

O marguerite exfoliée

Mon île au loin ma Désirade

Ma rose mon giroflier


Les satyres et les pyraustes

Les égypans les feux follets

Et les destins damnés ou faustes

La corde au cou comme à Calais

Sur ma douleur quel holocauste


Douleur qui doubles les destins

La licorne et le capricorne

Mon âme et mon corps incertain

Te fuient ô bûcher divin qu'ornent

Des astres des fleurs du matin


Malheur dieu pâle aux yeux d'ivoire

Tes prêtres fous t'ont-ils paré

Tes victimes en robe noire

Ont-elles vainement pleuré

Malheur dieu qu’ il ne faut pas croire


Et toi qui me suis en rampant

Dieu de mes dieux morts en automne

Tu mesures combien d'empans

J'ai droit que la terre me donne

O mon ombre ô mon vieux serpent


Au soleil parce que tu l'aimes

Je t'ai menée souviens-t'en bien

Ténébreuse épouse que j'aime

Tu es à moi en n'étant rien

O mon ombre en deuil de moi-même


L'hiver est mort tout enneigé

On a brûlé les ruches blanches

Dans les jardins et les vergers

Les oiseaux chantent sur les branches,

Le printemps clair l'avril léger


Mort d'immortels argyraspides

La neige aux boucliers d'argent

Fuit les dendrophores livides

Du printemps cher aux pauvres gens

Qui resourient les yeux humides


Et moi j'ai le coeur aussi gros

Qu'un cuI de dame damascène

O mon amour je t'aimais trop

Et maintenant j'ai trop de peine

Les sept épées hors du fourreau


Sept épées de mélancolie

Sans morfil ô claires douleurs

Sont dans mon coeur et la folie

Veut raisonner pour mon malheur

Comment voulez-vous que j’oublie