La mort soudaine des abricotiers
Les abricotiers sont morts jeunes , alors qu’ils commençaient à bourgeonner . Le gel les a tranchés , et de les voir éparpillés au sol m’a rappelé le deuil de l’enfant que j’ai perdu jadis . Voilà pourquoi j’ai écrit ce poème .
1.
Que le froid ne joue pas avec ces perles
S’il joue avec il les mêle à la terre.
Que le gel n’interrompe pas le printemps
S’il l’interrompt la lumière s’arrête .
Éparpillées par terre - bébés-fleurs
Ternies tachées - robes du petit mort .
Les ramassant - la main même pas pleine .
Rentrant au soir - tristesse sans issue .
2.
Recueille en vain les étoiles par terre
Pas une fleur ne reste sur les branches .
Rongé de pleurs - vieil homme seul au monde
Maison privée d’enfants - elle est sinistre .
Canards heureux qui plongent dans la mare
Corbeaux heureux qui délaissent le nid .
Eux leurs petits refont surface volent
Eux en spirales montent redescendent .
Avoir ces créatures - les sanglots .
3.
Sans doute c’est le même fil de larmes
qui loge au coeur des arbres printaniers .
De branche en branche pas de fleur ouverte -
Toutes tombées sous un métal tranchant .
La durée du printemps - comment l’étendre ?
Un gouffre - la déploration du gel .
Pas de source fleurie où l’on se baigne :
Ici les larmes baignent les habits .
4.
L’enfant est né - la lune était obscure
L’enfant est mort - la lune était brillante .
L’un a donc fait une éclipse de l’autre
Sa vie à lui ne pouvait pas durer .
Mais comment faire quand ces fleurs fugaces
Laissent le ciel gris-bleu prier leur plainte ?
Douceur qui tombe sur la terre froide
Nulle fragrance pour les temps futurs .
5.
Marchant - les pas pourraient blesser la terre
Les racines de l’arbre qui bourgeonne
Cette candeur le ciel ne la voit pas
S’il sépare le père et l’enfant .
Mille bourgeons tombés des branches lourdes
Pas un n’a échappé à son destin
Qui parle ici d’un séjour pour la vie ?
Le printemps n’a jamais poussé la porte .
6.
Le froid mordant a tué le printemps
Un couteau fin passé de branche en branche
Bourgeons tombés le coeur de l’arbre est nu
Montagne creuse la rumeur du vide .
Éclairs de vie qui sont tombés à terre
Flocons comme de minces flammes d’huile
L’unique certitude désormais
C’est la fragilité de toute chose .
7.
Pleurant cette absence de printemps
Ruisseaux de larmes trois ou quatre branches .
Les fleurs perdues le papillon est fou
L’enfant perdu le vieil homme est fragile .
Sans vie qui soit semence de la vie
Visage mort semence de la mort .
Le phénix reste sourd à la prière .
Qui peut frapper à la porte du Ciel ?
8.
Lorsque le fils est pris dans le désastre
Il est normal que les bourgeons le soient .
Vieux et transi chercher à se reprendre
Débris d’un coeur qu’il faut recomposer .
Le son est mort - que reste-t-il à dire ?
L’espoir fauché - toute harmonie est vaine .
Vieil homme fatigué sans descendance
Il est plus seul qu’un fagot de vieux bois .
9.
Le gel fait la ruine des fleurs rouges
Tranchant trouant les couples par dizaines .
La brise porte des gémissements
Les poissons font des bulles dans l’eau basse .
Larmes qui gèlent qui ne fondent pas
Rancoeur plus forte impossible à contraindre .
Restent les ombres vaines du passé .
Le bureau - sa lucarne est haïssable .
Écrit au début du IXe siècle par Meng Jiao (poésie Tang) .
La version (pages 204 à 207 de son livre »Partages I »)ci-dessus de André Markowicz est sa synthèse de deux versions anglaises , celles de Stephen Owen et de Richard Hinton . A.Markowicz précise page 204 de « Partages » : « Il n’y a aucun livre de Meng Jiao en France . »